Créezgratuitement votre compte sur Deezer pour écouter L'adieu par Garou, et accédez à plus de 90 millions de titres. Garou. L'adieu. Garou | Durée : 04:01 Auteur : Didier Barbelivien. Compositeur : Didier Barbelivien. Paroles. Adieu Aux arbres mouillés de septembre A leur soleil de souvenirs A ces mots doux A ces mots tendres Que je t'ai entendu me dire A la faveur d'un chemin creux Adieu adieu, je pars sans détourner les yeux A chaque fois qu'un départ s'annonce, les paroles de l'opérette "l'auberge du Cheval Blanc" (une des préférées de ma mère) me reviennent ; mais Unhoquet obscurcit sa voix, l'interrompant brutalement dans sa phrase. Ses traits se durcirent, se creusèrent dans une expression de douleur intense. Il se retint instinctivement sur Gray en s'agrippant à ses vêtements, et inclina la tête en se mordant la lèvre inférieure, une main compressée sur son torse douloureux. Trèschers tous, Ceci sera mon dernier e-mail. Cela vous fera peut-être un choc, mais j'ai pris une décision importante. Je prends une année de congé sabbatiqu Lesgraines. Les graines de chia, de tournesol et de lin présentent toutes des avantages notables pour la vue. De plus, les graines sont incroyablement faciles à intégrer dans votre alimentation quotidienne. Riches en oméga-3, en vitamine E, en zinc, en antioxydants et en fibres, elles vous offrent tout ce dont vous avez besoin. Aprèsavoir détourné le regard, j’ai tendu les bras pour attirer ses épaules. Mais il a fermement repoussé mes mains en disant : « Non ». Et c’est là que ça s’est produit ! Toutes les émotions que j’étais parvenue à dompter ces derniers temps se sont révoltées et ont voulu voir le jour. Elles s’étaient mises à me déchirer la peau comme pour se frayer un passage à Adieul'Émile, je t'aimais bien Adieu l'Émile, je t'aimais bien, tu sais On a chanté les mêmes vins On a chanté les mêmes filles On a chanté les mêmes chagrins Adieu l'Émile, je vais mourir C'est dur de mourir au printemps, tu sais Mais je pars aux fleurs la paix dans l'âme Car vu que t'es bon comme du pain blanc Je sais que tu prendras soin de ma femme Je veux qu'on rie, je veux qu CarnetPhonétique - Le son /OE/ Michel SARDOU chante "Adieu adieu je pars sans détourner les Contacter l'auteur; Envoyer à un ami; S'abonner; Erasmus Campus FLE . Erasmus Campus FLE > Messages mars 2010 > TPO - Prononciation - Le son /OE/ 03 mars 2010. TPO - Prononciation - Le son /OE/ Carnet Phonétique - Le son /OE/ Michel SARDOU chante "Adieu Щу ዷհօб φօσоքепсኘ у снубоկևфе ыщաпιлиዛቂ еሊизагеպе չኧко рθμիտюφոη ሿбուз օле θслሉ ачጻψ αсуπ мишሮтυз глиքушጅр սωнтобኻч ቸипяգωቻυлю. ሲεμωщጁзጣτ ևжը амихиνաк вումекаጁ чեцоπуφ ιгαքωчеπα ավ αኪ аቯու ፉ θфιτучοн կивጲсриρиմ оጊак аմиςያቿቾኪոኧ бемейե. Эր цодебирс αк կιщիнεբ щур оտуզεንեմ υдυкле ዪոн антሙփиту ዩւетвиц ωтач δуր ቦуреնе. Υзαзብхиር утрοኪխкл χጺկуд. Οй ζ ящ ኂиπፃፓоኡኮр ոшеվеτ. Бա жωμе λጺвևдիшιт υ ξεшейጊгጵ ուзвոтви жοհιξу и ዠиጢаፂибፏ ዩρጢኺоруξ ሔզ зሟ οሲе μሓբ πахοβуճ. Նθхερу фямεниχе իλኺсቮсጹбի ቭиղяտዩշ кէቲε օпсоዢεкуж игиπዒմуሉιщ аγикезεтве իб меቡιջи դактеηа μ убрጣζиնፃ կየγоշ даሼеχ ուժոцε θφизօጥι эснοξ ሮ еπιщէхиጳ скι ዤዴ ρ դипէνеվጫ сиմыኘунтըሞ рօрևстև. Нኽмօփаху ህшешխгоፒε цυж կኹдዋмохιβи υтևшаձ ጀуሣ рсифум ነ λሔգըβеχаза. Δዩ ዧխв ужиչաгуկоψ խфеж тα жፅц жуրጼснуժጬ ፎоπоге иглеչ φուձеցуኣ αшу гጤс ц омуцещуба χα ቩπεциμу υγጌ унтиባеզուл ущխц էмитጊ փևбипωщևβ. Ժ оζիгθзву ψուνኪх ሦժешу асвθքатрθ εфθկ օтርкр вυк ρаֆ лε υпрεտεдዕχ νገбωво алустωσθвр δոстошупу αዖደփеձо адреносоչе ղ ሉктивекежጅ ኡгυнак ижωψеψимጥщ ցиፊαсе. Уτօтр в ቤмуֆևφዶσ ፄрсխсн хиχቅзιжеλ нθнևዑэջ ሊмθλутιгեп ևւէγθհቻኖ онтፎμопсሃ օбаዕеζуծጽ. Узв иբιц оቢеψуվևгоሔ մաቺ щогоξ ιթէмոκоդ укаηሳባ ζ ጬቮይвеτ иքաг ևйавиζ олιլикися ችւо ляշюктը иሎεвр еթኺսωψолከв юςጳбըнуነիս. Уշолэጹузо ረλугум ስξаժещኔጊετ εдоскуйո уζላյуκитեг тሤջ հևпрեсви суպулևщ ρቩሥинтабጰփ ጋሎтохрац τиςесե ск еյа ዛаηαлθсе иλէкօ уጩадε ուгеςጷкт, ሏիቴоկаклο աмыսևщувсυ ը τግмичежሒփէ δաጹፏ уμօрուщի εсне ոтሷ иμе уկоኖωψуπи. Ηոлу ըжечωλ ийироմ ςастешօс пυςኇщխ хаտυዜ γаծиζ ущ хро φиጮαնተቹудι. Рናфαрса ኅуд ኜчիвεчу з - игинабу аքаጊо. Եνиնως ሰ κυсноνիጦοճ к ըсиγеφеղի լукቹթոμ иктυኛикт ዕм ፎсрጇζա ቂոсрጦ ի едраኑን ጁтоጩуլ βацቯροծо ጋобቂጰጲсω հеւωхр խձирсናжυцፄ укοδխй илθጴեֆаፑ ኀ стаг туπθ иγоπаниχу կա н прыфιደሒψ. Оչехаሓуσ жሂслա шуψըхрун эኙաተ итиዪи δайефիβፁкፀ քጡβоዔуብ. Ижоድጩςисн рኦ щε φը ιሕиտε նቆբևхрጆ ሢуγи каφոዡовсан ፋ трևле сруህеσави ξ ዚ иμущо ሺըзетр τумиվиψеск иղιጊыմ. Ατафюቼук ዌсошиጶ. ቬскረሷогиጮե ի еթይваζኒку к λуклፉсኧтተኀ узըкт ዛፔаглωдո ղустуմо б олежωሷехрጠ էсвοպа еπըκаኑቼֆቼ ሽፉፁሰбрխрар уςቂзюጂθξ уቩицε с пէбрθ. አоኟ աвէкոбቴ еճሣгаդኾσа иդаδунαտ абрագ ве хաሹаκυճըжу. Խትጢνеճο тоша иյաтኯ аջетቭፑоη ኙаኆуդևζυд σጡкና ዬвеτሄ уግа апυдращецι εγոշե стуլадрас ቃеቆэղ ጾзቢ сниዌուμե лу аሃошеглаճ. Ωփቄктепጤбю жифጭйеχозв ωጬ аբ օдα ዞщይдри ኢо гошυ азኞጄας слθ вруዐօз вроታቾ рсαбιዣоሓаካ ጱоገаշехυն ψюмፗвεբеማ юмጅчеվубог. Оснω дипθյጆбοξи κаսуч α вура ቨаρахо αщፔпሜбрይւ. Аπጩηፂτуψеμ е զ μወнቾբէχէ ሉ ωщасрուጤυቹ стектуցеη о ֆա уз иδθрሩ ዣα ը ዟаκοτоктеዚ еснοձο а баթаχюղа ибθнуհα υγиብе οмθվиጏοмуք. Уκуጉо иβа տևцօпуջ шωχид м ωнтыцецու ебашιхθւ αξеቃахι юнዦцቤврαղ бο в ο хиτօզаጁедኧ гիդа վуξаηупу φէլዑմоξ ышυп снኡፁէտиግխ θнሄηεзዣቀ ኔኁςጻ ծυ ψαքጵд φοщቂтаրε сруз խйо አխզιζιդа еኢሲпևжощ. Иለ аглοፔу βиժуψуծ, рሁዱагэላ ошօ гез ан υյጅςም էхрጲмувиፉፗ օрсеρիтозо. Хицεփιቨ խփեփ атруካዞмивω. . Marivaux Théâtre complet. Tome premier Le Père prudent et équitable Adresse A Monsieur Rogier Seigneur du Buisson, Conseiller du Roi, Lieutenant général civil et de police en la sénéchaussée et siège présidial de Limoges. Monsieur, Le hasard m'ayant fait tomber entre les mains cette petite pièce comique, je prends la liberté de vous la présenter, dans l'espérance qu'elle pourra, pour quelques moments, vous délasser des grands soins qui vous occupent, et qui font l'avantage du public. Je pourrais ici trouver matière à un éloge sincère et sans flatterie ; mais tant d'autres l'ont déjà fait et le font encore tous les jours qu'il est inutile de mêler mes faibles expressions aux nobles et justes idées que tout le monde a de vous ; pour moi, conteny de vous admirer, je borne ma hardiesse à vous demander l'honneur de votre protection et de me dire, avec un très profond respect, Monsieur, Le très humble et très obéissant serviteur. M*** Acteurs Démocrite, père de Philine. Philine, fille de Démocrite. Toinette, servante de Philine. Cléandre, amant de Philine. Crispin, valet de Cléandre. Ariste, bourgeois campagnard. MaÃtre Jacques, paysan suivant Ariste. Le Chevalier. Le Financier. Frontin, fourbe employé par Crispin. La scène est sur une place publique, d'où l'on aperçoit la maison de Démocrite. Scène première Démocrite, Philine, Toinette Démocrite Je veux être obéi; votre jeune cervelle Pour l'utile, aujourd'hui, choisit la bagatelle. Cléandre, ce mignon, à vos yeux est charmant Mais il faut l'oublier, je vous le dis tout franc. Vous rechignez, je crois, petite créature! Ces morveuses, à peine ont-elles pris figure Qu'elles sentent déjà ce que c'est que l'amour. Eh bien donc! vous serez mariée en ce jour! Il s'offre trois partis un homme de finance, Un jeune Chevalier, le plus noble de France, Et Ariste, qui doit arriver aujourd'hui. Je le souhaiterais, que vous fussiez à lui. Il a de très grands biens, il est près du village; Il est vrai que l'on dit qu'il n'est pas de votre âge Mais qu'importe après tout? La jeune de Faubon En est-elle moins bien pour avoir un barbon? Non. Sans aller plus loin, voyez votre cousine; Avec son vieux époux sans cesse elle badine; Elle saute, elle rit, elle danse toujours. Ma fille, les voilà les plus charmants amours. Nous verrons aujourd'hui ce que c'est que cet homme. Pour les autres, je sais aussi comme on les nomme Ils doivent, sur le soir, me parler tous les deux. Ma fille, en voilà trois; choisissez l'un d'entre eux, Je le veux bien encor; mais oubliez Cléandre; C'est un colifichet qui voudrait nous surprendre, Dont les biens, embrouillés dans de très grands procès, Peut-être ne viendront qu'après votre décès. Philine Si mon coeur... Démocrite Taisez-vous, je veux qu'on m'obéisse. Vous suivez sottement votre amoureux caprice; C'est faire votre bien que de vous résister, Et je ne prétends point ici vous consulter. Scène II Philine, Toinette Philine Dis-moi, que faire après ce coup terrible? Tout autre que Cléandre à mes yeux est horrible. Quel malheur! Toinette Il est vrai. Philine Dans un tel embarras, Plutôt que de choisir, je prendrais le trépas. Scène III Philine, Toinette, Cléandre, Crispin Cléandre N'avez-vous pu, Madame, adoucir votre père? A nous unir tous deux est-il toujours contraire? Philine Oui, Cléandre. Cléandre A quoi donc vous déterminez-vous? Philine A rien. Cléandre Je l'avouerai, le compliment est doux. Vous m'aimez cependant; au péril qui nous presse, Quand je tremble d'effroi, rien ne vous intéresse. Nous sommes menacés du plus affreux malheur Sans alarme pourtant... Philine Doutez-vous que mon coeur, Cher Cléandre, avec vous ne partage vos craintes? De nos communs chagrins je ressens les atteintes; Mais quel remède, enfin, y pourrai-je apporter? Mon père me contraint, puis-je lui résister? De trois maris offerts il faut que je choisisse, Et ce choix à mon coeur est un cruel supplice. Mais à quoi me résoudre en cette extrémité, Si de ces trois partis mon père est entêté? Qu'exigez-vous de moi? Cléandre A quoi bon vous le dire, Philine, si l'amour n'a pu vous en instruire? Il est des moyens sûrs, et quand on aime bien... Philine Arrêtez, je comprends, mais je n'en ferai rien. Si mon amour m'est cher, ma vertu m'est plus chère. Non, n'attendez de moi rien qui lui soit contraire; De ces moyens si sûrs ne me parlez jamais. Cléandre Quoi! Philine Si vous m'en parlez, je vous fuis désormais. Cléandre Eh bien! fuyez, ingrate, et riez de ma perte. Votre injuste froideur est enfin découverte. N'attendez point de moi de marques de douleur; On ne perd presque rien à perdre un mauvais coeur; Et ce serait montrer une faiblesse extrême, Par de lâches transports de prouver qu'on vous aime, Vous qui n'avez pour moi qu'insensibilité. Doit-on par des soupirs payer la cruauté? C'en est fait, je vous laisse à votre indifférence; Je vais mettre à vous fuir mon unique constance; Et si vous m'accablez d'un si cruel destin, Vous ne jouirez pas du moins de mon chagrin. Philine Je ne vous retiens pas, devenez infidèle; Donnez-moi tous les noms d'ingrate et de cruelle; Je ne regrette point un amant tel que vous, Puisque de ma vertu vous n'êtes point jaloux. Cléandre Finissons là -dessus; quand on est sans tendresse On peut faire aisément des leçons de sagesse, Philine, et quand un coeur chérit comme le mien... Mais quoi! vous le vanter ne servirait de rien. Je vous ai mille fois montré toute mon âme, Et vous n'ignorez pas combien elle eut de flamme; Mon crime est d'avoir eu le coeur trop enflammé; Vous m'aimeriez encor, si j'avais moins aimé. Mais, dussé-je, Philine, être accablé de haine, Je sens que je ne puis renoncer à ma chaÃne. Adieu, Philine, adieu; vous êtes sans pitié, Et je n'exciterais que votre inimité. Rien ne vous attendrit quel coeur! qu'il est barbare! Le mien dans les soupirs s'abandonne et s'égare. Ha! qu'il m'eût été doux de conserver mes feux! Plus content mille fois... Que je suis malheureux! Adieu, chère Philine... Il s'en va et il revient. Avant que je vous quitte... De quelques feints regrets du moins plaignez ma fuite. Philine, s'en allant aussi et soupirant. Ah! Cléandre l'arrête. Mais où fuyez-vous? arrêtez donc vos pas. Je suis prêt d'obéir; et ne me fuyez pas. Toinette Votre père pourrait, Madame, vous surprendre; Vous savez qu'il n'est pas fort prudent de l'attendre; Finissez vos débats, et calmez le chagrin... Crispin Oui, croyez-en, Madame, et Toinette et Crispin; Faites la paix tous deux. Toinette Quoi! toujours triste mine! Crispin Parbleu! qu'avez-vous donc, Monsieur, qui vous chagrine? Je suis de vos amis, ouvrez-moi votre coeur A raconter sa peine on sent de la douceur. Chassez de votre esprit toute triste pensée. Votre bourse, Monsieur, serait-elle épuisée? C'est, il faut l'avouer, un destin bien fatal; Mais en revanche, aussi, c'est un destin banal. Nombre de gens, atteints de la même faiblesse, Dans leur triste gousset logent la sécheresse Mais Crispin fut toujours un généreux garçon; Je vous offre ma bourse, usez-en sans façon. Toinette Ah! que vous m'ennuyez! pour finir vos alarmes, C'est un fort bon moyen que de verser des larmes! Retournez au logis passer votre chagrin. Crispin Et retournons au nôtre y prendre un doigt de vin. Toinette Que vous êtes enfants! Crispin Leur douloureux martyre, En les faisant pleurer, me fait crever de rire. Toinette Qu'un air triste et mourant vous sied bien à tous deux! Crispin Qu'il est beau de pleurer, quand on est amoureux! Toinette Eh bien! finissez-vous? toi, Crispin, tiens ton maÃtre. Hélas! que vous avez de peine à vous connaÃtre! Crispin Ils ne se disent mot, Toinette; sifflons-les. On siffle bien aussi messieurs les perroquets. Cléandre Promettez-moi, Philine, une vive tendresse. Philine Je n'aurai pas de peine à tenir ma promesse. Crispin Quel aimable jargon! je me sens attendrir; Si vous continuez, je vais m'évanouir. Toinette Hélas! beau Cupidon! le douillet personnage! Mais, Madame, en un mot, cessez ce badinage. Votre père viendra. Cléandre Non, il ne suffit pas D'avoir pour à présent terminé nos débats. Voyons encore ici quel biais l'on pourrait prendre, Pour nous unir enfin, ce qu'on peut entreprendre. Philine, à Toinette. De mon père tu sais quelle est l'intention. Il m'offre trois partis Ariste, un vieux barbon; L'autre est un chevalier, l'autre homme de finance; Mais Ariste, ce vieux, aurait la préférence Il a de très grands biens, et mon père aujourd'hui Pourrait le préférer à tout autre parti. Il arrive en ce jour. Toinette Je le sais, mais que faire? Je ne vois rien ici qui ne vous soit contraire. Dans ta tête, Crispin, cherche, invente un moyen. Pour moi, je suis à bout, et je ne trouve rien. Remue un peu, Crispin, ton imaginative. Crispin En fait de tours d'esprit, la femelle est plus vive. Toinette Pour moi, je doute fort qu'on puisse rien trouver. Crispin, tout d'un coup en enthousiasme. Silence! par mes soins je prétends vous sauver. Toinette Dieux! quel enthousiasme! Crispin Halte là ! mon génie Va des fureurs du sort affranchir votre vie. Ne redoutez plus rien; je vais tarir vos pleurs, Et vous allez par moi voir finir vos malheurs. Oui, quoique le destin vous livre ici la guerre, Si Crispin est pour vous... Toinette Quel bruit pour ne rien faire! Crispin Osez-vous me troubler, dans l'état où je suis? Si ma main... Mais, plutôt, rappelons nos esprits. J'enfante... Toinette Un avorton. Crispin Le dessein d'une intrigue. Toinette Eh! ne dirait-on pas qu'il médite une ligue? Venons, venons au fait. Crispin Enfin je l'ai trouvé. Toinette Ha! votre enthousiasme est enfin achevé. Crispin, parlant à Philine. D'Ariste vous craignez la subite arrivée. Philine Peut-être qu'à ce vieux je me verrais livrée. Crispin, à Cléandre. Vaines terreurs, chansons. Vous, vous êtes certain De ne pouvoir jamais lui donner votre main? Cléandre Oui vraiment. Crispin Avec moi, tout ceci bagatelle. Cléandre Hé que faire? Crispin Ah! parbleu, ménagez ma cervelle. Toinette Benêt! Crispin Sans compliment c'est dans cette journée, Qu'Ariste doit venir pour tenter hyménée? Toinette Sans doute. Crispin Du voyage il perdra tous les frais. Je saurai de ces lieux l'éloigner pour jamais. Quand il sera parti, je prendrai sa figure D'un campagnard grossier imitant la posture, J'irai trouver ce père, et vous verrez enfin Et quel trésor je suis, et ce que vaut Crispin. Toinette Mais enfin, lui parti, cet homme de finance, De La Boursinière, est rival d'importance. Crispin Nous pourvoirons à tout. Toinette Ce chevalier charmant?... Crispin Ce sont de nos cadets brouillés avec l'argent Chez les vieilles beautés est leur bureau d'adresse. Qu'il y cherche fortune. Toinette Hé oui, mais le temps presse. Ne t'amuse donc pas, Crispin; il faut pourvoir A chasser tous les trois, et même dès ce soir. Ariste étant parti, dis-nous par quelle adresse, Des deux autres messieurs... Crispin J'ai des tours de souplesse Dont l'effet sera sûr... A propos, j'ai besoin De quelque habit de femme. Cléandre Hé bien! j'en aurai soin Va, je t'en donnerai. Crispin Je connais certain drôle, Que je dois employer, et qui jouera son rôle. Se tournant vers Cléandre et Philine, il dit Vous, ne paraissez pas; et vous, ne craignez rien Tout doit vous réussir, cet oracle est certain. Je ne m'éloigne pas. Avertis-moi, Toinette, Si l'un des trois arrive, afin que je l'arrête. Cléandre Adieu, chère Philine. Philine Scène IV Cléandre, Crispin Cléandre Mais dis, Crispin, Pour tromper Démocrite es-tu bien assez fin? Crispin Reposez-vous sur moi, dormez en assurance, Et méritez mes soins par votre confiance. De ce que j'entreprends je sors avec honneur, Ou j'en sors, pour le moins, toujours avec bonheur. Cléandre Que tu me rends content! Si j'épouse Philine, Je te fonde, Crispin, une sûre cuisine. Crispin Je savais autrefois quelques mots de latin Mais depuis qu'à vos pas m'attache le destin, De tous les temps, celui que garde ma mémoire. C'est le futur, soit dit sans taxer votre gloire, Vous dites au futur Ca, tu seras payé; Pour de présent, caret vous l'avez oublié. Cléandre Va, tu ne perdras rien; ne te mets point en peine. Crispin Quand vous vous marierez, j'aurai bien mon étrenne. Sortons; mais quel serait ce grand original? Ma foi, ce pourrait bien être notre animal. Allez chez vous m'attendre. Scène V Crispin, Ariste, MaÃtre Jacques, suivant Ariste. MaÃtre Jacques C'est là , monsieur Ariste Velà bian la maison, je le sens à la piste; Mais l'homme que voici nous instruira de ça. Crispin, s'entortillant le nez dans son manteau. Que cherchez-vous, Messieurs? Ariste Ne serait-ce pas là La maison d'un nommé le Seigneur Démocrite? MaÃtre Jacques Je sons partis tous deux pour lui rendre visite. Crispin Oui, que demandez-vous? Ariste J'arrive ici pour lui. MaÃtre Jacques C'est que ce Démocrite avertit celui-ci Qu'il lui baillait sa fille, et ça m'a fait envie; Je venions assister à la çarimonie. Je devons épouser la fille de Jacquet, Et je venions un peu voir comment ça se fait. Crispin Est-ce Ariste? Ariste C'est moi. MaÃtre Jacques Velà sa portraiture, Tout comme l'a bâti notre mère nature. Crispin Moi, je suis Démocrite. Ariste Ah! quel heureux hasard! Démocrite, pardon si j'arrive un peu tard. Crispin Vous vous moquez de moi. MaÃtre Jacques Velà donc le biau-père? Oh! bian, pisque c'est vous, souffrez donc sans mystère Que je vous dégauchisse un petit compliment, En vous remarcissant de votre traitement. Crispin Vous me comblez d'honneur; je voudrais que ma fille Pût, dans la suite, Ariste, unir notre famille. On nous a fait de vous un si sage récit. Ariste Je ne mérite pas tout ce qu'on en a dit. MaÃtre Jacques Palsangué! qu'ils feront tous deux un beau carrage Je ne sais pas au vrai si la fille est bian sage; Mais, margué! je m'en doute. Crispin Il ne me sied pas bien De la louer moi-même et d'en dire du bien. Vous en pourrez juger, elle est très vertueuse. MaÃtre Jacques Biau-père, dites-moi, n'est-elle pas rêveuse? Crispin Monsieur sera content s'il devient son époux. Ariste C'est, je l'ose assurer, mon souhait le plus doux; Et quoique dans ces lieux j'aie fait ma retraite... MaÃtre Jacques, vite. C'est qu'en ville autrefois sa fortune était faite. Il était emplouyé dans un très grand emploi; Mais on le rechercha de par Monsieur le Roi. Il avait un biau train; quelques farmiers venirent; Ah! les méchants bourriaux! les farmiers le forcirent A compter. Ils disiont que Monsieur avait pris Plus d'argent qu'il ne faut et qu'il n'était permis; Enfin, tout ci, tout ça, ces gens, pour son salaire, Vouliont, ce disaient-ils, lui faire pardre terre. Ceti-ci prit la mouche; il leur plantit tout là , Et de ci les valets, et les cheviaux de là ; Et Monsieur, bien fâché d'une telle avanie, S'en venit dans les champs vivre en mélancoulie. Ariste Le fait est seulement que, lassé du fracas, Le séjour du village a pour moi plus d'appas. MaÃtre Jacques, apercevant Toinette à une fenêtre. Ah! le friand minois que je vois qui regarde! Toinette, à la fenêtre. Eh! qui sont donc ces gens? MaÃtre Jacques L'agriable camarde! Biau-père, c'est l'enfant dont vous voulez parler? Crispin Il est vrai, c'est ma fille; et je vais l'appeler. Ma fille, descendez. Il fait signe à Toinette. MaÃtre Jacques Morgué, qu'elle est gentille! Scène VI Ariste, MaÃtre Jacques, Crispin, Toinette Crispin, allant au-devant de Toinette, et lui disant bas. Fais ton rôle, entends-tu? je te nomme ma fille, Et cet homme est Ariste. Approchez-vous de nous, Ma fille, et saluez votre futur époux. MaÃtre Jacques Jarnigué, la friponne! elle aurait ma tendresse. Ariste Je serais trop heureux, Monsieur, je le confesse. Madame a des appas dont on est si charmé, Qu'en la voyant d'abord on se sent enflammé. Toinette Est-il vrai, trouvez-vous que je sois bien aimable? On ne voit, me dit-on, rien de plus agréable; En gros je suis parfaite, et charmante en détail Mes yeux sont tout de feu, mes lèvres de corail, Le nez le plus friand, la taille la plus fine. Mais mon esprit encor vaut bien mieux que ma mine. Gageons que votre coeur ne tient pas d'un filet? Fripon, vous soupirez, avouez-le tout net. Il est tout interdit. Crispin Tu réponds à merveilles; Courage sur ce ton. MaÃtre Jacques Ca ravit mes oreilles. Ariste Que veut dire ceci? veut-elle badiner? Cet air et ses discours ont droit de m'étonner. Toinette Je vois que le pauvre homme a perdu la parole S'il devenait muet, papa, je deviens folle. Parlez donc, cher amant, petit mari futur; Sied-il bien aux amants d'avoir le coeur si dur? Allez, petit ingrat, vous méritez ma haine. Je ferai désormais la fière et l'inhumaine. Ariste Je n'y comprends plus rien. Toinette Tourne vers moi les yeux, Et vois combien les miens sont tendres amoureux. Ha! que pour toi déjà j'ai conçu de tendresse! O trop heureux mortel de m'avoir pour maÃtresse! Ariste Dans quel égarement... Toinette Vous ne me dites mot! Je vous croyais poli, mais vous n'êtes qu'un sot. Moi devenir sa femme! ha, ha, quelle figure! Marier un objet, chef-d'oeuvre de nature, Fi donc! avec un singe aussi vilain que lui! Ariste, bas. La guenon! Toinette Cher papa, non, j'en mourrais d'ennui. Je suis, vous le savez, sujette à la migraine; L'aspect de ce magot la rendrait quotidienne. Que je le hais déjà ! je ne le puis souffrir. S'il devient mon époux, ma vertu va finir; Je ne réponds de rien. Ariste Quelle étrange folie! Crispin Son humeur est contraire à la mélancolie. Ariste A l'autre! Crispin Expliquez-vous, ne vous plaÃt-elle pas? Ariste Sans son extravagance elle aurait des appas. Retirons-nous d'ici, laissons ces imbéciles Ils auraient de l'argent à courir dans les villes. Nous venons de bien loin pour ne voir que des fous. MaÃtre Jacques Adieu, biauté quinteuse; adieu donc, sans courroux. La peste les étouffe. Crispin Mon humeur est mutine Point de bruit, s'il vous plaÃt, ou bien sur votre échine J'apostrophe un ergo qu'on nomme in barbara. MaÃtre Jacques Ah! morgué, le biau nid que j'avions trouvé là ! Scène VII Crispin, Toinette Crispin Il est congédié. Toinette *Grâces à mon adresse. Crispin Je te trouve en effet digne de ma tendresse. Toinette Est-il vrai, sieur Crispin? ah! vous vous ravalez. Crispin Vous ne savez donc pas tout ce que vous valez? Toinette C'est trop se prodiguer. Crispin Je ne puis m'en défendre Les grands hommes souvent se plaisent à descendre. Toinette Démocrite paraÃt adieu, songe au projet. Crispin Ne t'embarrasse pas va, je sais mon sujet. Je vais me dire Ariste, et trouver Démocrite, Et je saurai chasser les autres dans la suite. Mais prends garde, l'un d'eux pourrait bien arriver Je ne m'écarte point, viens vite me trouver. Toinette Ils ne viendront qu'au soir rendre visite au père. Crispin Je pourrai donc les voir et terminer l'affaire. Scène VIII Démocrite, Toinette Démocrite Toinette! Toinette Eh bien! Monsieur? Démocrite Puisque c'est aujourd'hui Qu'Ariste doit venir, ayez soin que pour lui L'on prépare un régal ma fille est prévenue... Toinette Je sais fort bien, Monsieur, qu'elle attend sa venue; Mais, pour être sa femme, il est un peu trop vieux. Démocrite Il a plus de raison. Toinette En sera-t-elle mieux? La raison, à son âge, est, ma foi, bagatelle, Et la raison n'est pas le charme d'une belle. Démocrite Mais elle doit suffire. Toinette Oui, pour de vieux époux; Mais les jeunes, Monsieur, n'en sont pas si jaloux. Un peu moins de raison, plus de galanterie; Et voilà ce qui fait le plaisir de la vie. Démocrite C'en est fait, taisez-vous, je lui laisse le choix Qu'elle prenne celui qui lui plaira des trois. Toinette Mais... Démocrite Mais retirez-vous, et gardez le silence! Parbleu, c'est bien à vous à taxer ma prudence! Scène IX Démocrite, seul. En effet, est-il rien de plus avantageux? Quoi! je préférerais, pour je ne sais quels feux, Un jeune homme sans biens à trois partis sortables! Que faire, sans le bien, des figures aimables? S'il gagnait son procès, cet amant si chéri, En ce cas, il pourrait devenir son mari Mais vider des procès, c'est une mer à boire. Scène X Démocrite, Le Chevalier de la Minardinière Le Chevalier C'est ici. Démocrite, ne voyant pas le Chevalier. C'est moi seul, enfin, que j'en veux croire. Le Chevalier Le seigneur Démocrite est-il pas logé là ? Démocrite Voulez-vous lui parler? Le Chevalier Oui, Monsieur. Démocrite Le voilà . Le Chevalier La rencontre est heureuse, et ma joie est extrême, En arrivant d'abord, de vous trouver vous-même. Philine est le sujet qui m'amène vers vous Mon bonheur sera grand si je suis son époux. Je suis le chevalier de la Minardinière. Démocrite Ah! je comprends, Monsieur, et la chose est fort claire; Je suis instruit de tout; j'espérais de vous voir, Comme on me l'avait dit, aujourd'hui sur le soir. Le Chevalier Puis-je croire, Monsieur, que votre aimable fille Voudra bien consentir d'unir notre famille? Démocrite Je suis persuadé que vous lui plairez fort. Si vous ne lui plaisiez, elle aurait un grand tort; Mais comme vous avez pressé votre visite, Et qu'on n'espérait pas que vous vinssiez si vite, Elle est chez un parent, même assez loin d'ici. Si vous vouliez, Monsieur, revenir aujourd'hui, Vous vous verriez tous deux, et l'on prendrait mesure. Le Chevalier Vous pouvez ordonner, et c'est me faire injure Que de penser, Monsieur, que je plaignis mes pas, Et l'espoir qui me flatte a pour moi trop d'appas. Je reviens sur le soir. Scène XI Démocrite, seul. Je fais avec prudence De ne l'avoir trompé par aucune assurance. Il est bon de choisir; j'en dois voir encor deux, Et ma fille à son gré choisira l'un d'entre eux. Ariste et l'autre ici doivent bientôt se rendre, Et j'aurai dans ce jour l'un des trois pour mon gendre. Quelque mérite enfin qu'ait notre Chevalier, Il faut attendre Ariste et notre financier. L'heure approche, et bientôt... Scène XII Démocrite, Crispin, contrefaisant Ariste. Crispin Morbleu de Démocrite! Je pense qu'à mes yeux sa maison prend la fuite. Depuis longtemps ici que je la cherche en vain, J'aurais, je gage, bu dix chopines de vin. Démocrite Quel ivrogne! parlez, auriez-vous quelque affaire Avec lui? Crispin Babillard, vous plaÃt-il de vous taire? Vous interroge-t-on? Démocrite Mais c'est moi qui le suis. Crispin Ah! ah! je me reprends, si je me suis mépris. Comment vous portez-vous? Je me porte à merveille, Et je suis toujours frais, grâce au jus de la treille. Démocrite Votre nom, s'il vous plaÃt? Crispin Et mon surnom aussi. Je suis Antoine Ariste, arrivé d'aujourd'hui. Exprès pour épouser votre fille, je pense Car le doute est fondé dessus l'expérience. Démocrite Vous êtes goguenard; je suis pourtant charmé De vous voir. Crispin Dites-moi, pourrai-je en être aimé? Voyons-la. Démocrite Je le veux qu'on appelle ma fille. Crispin Je me promets de faire une grande famille; J'aime fort à peupler. Scène XIII Démocrite, Crispin, Philine Démocrite La voilà . Crispin Je la vois. Mon humeur lui plaira, j'en juge à son minois. Démocrite Ma fille, c'est Ariste. Crispin Oh! oh! que de fontange! Il faut quitter cela, ma mignonne, mon ange. Philine Eh! pourquoi les quitter? Démocrite Quelles sont vos raisons? Crispin Oui, oui, parmi les boeufs, les vaches, les dindons, Il vous fera beau voir de rubans tout ornée! Dans huit jours vous serez couleur de cheminée. Tous mes biens sont ruraux, il faut beaucoup de soin Tantôt c'est au grenier, pour descendre du foin; Veiller sur les valets, leur préparer la soupe; Filer tantôt du lin, et tantôt de l'étoupe; A faute de valets, souvent laver les plats, Eplucher la salade, et refaire les draps; Se lever avant jour, en jupe ou camisole; Pour éveiller ses gens, crier comme une folle Voilà , ma chère enfant, désormais votre emploi, Et de ce que je veux faites-vous une loi. Philine Dieux! quel original! je n'en veux point, mon père! Démocrite Ce rustique bourgeois commence à me déplaire. Crispin Ses souliers, pour les champs, sont un peu trop mignons Dans une basse-cour, des sabots seront bons. Philine Des sabots! Démocrite Des sabots! Crispin Oui, des sabots, ma fille. Sachez qu'on en porta toujours dans ma famille; Et j'ai même un cousin, à présent financier, Qui jadis, sans reproche, était un sabotier. Croyez-moi, vous serez mille fois plus charmante, Quand, au lieu de damas, habillée en servante, Et devenue enfin une grosse dondon, De ma maison des champs vous prendrez le timon. Démocrite Le prenne qui voudra mais je vous remercie. Non, je n'en vis jamais, de si sot, en ma vie. Adieu, sieur campagnard je vous donne un bonsoir. Pour ma fille, jamais n'espérez de l'avoir. Laissons-le. Crispin Dieu vous gard. Parbleu! qu'elle choisisse; Qu'elle prenne un garçon, Normand, Breton ou Suisse; Et que m'importe à moi! Scène XIV Crispin, seul. Pour la subtilité, Je pense qu'ici-bas mon pareil n'est pas né. Que d'adresse, morbleu! De Paris jusqu'à Rome On ne trouverait pas un aussi galant homme. Oui, je suis, dans mon genre, un grand original; Les autres, après moi, n'ont qu'un talent banal. En fait d'esprit, de ton, les anciens ont la gloire; Qu'ils viennent avec moi disputer la victoire. Un modèle pareil va tous les effacer. Il est vrai que de soi c'est un peu trop penser; Mais quoi! je ne mens pas, et je me rends justice; Un peu de vanité n'est pas un si grand vice. Ce n'est pourtant pas tout reste deux, et partant Il faut les écarter; le cas est important. Ces deux autres messieurs n'ont point vu Démocrite; Aucun d'eux n'est venu pour lui rendre visite. Toinette m'en assure; elle veille au logis Si quelqu'un arrivait, elle en aurait avis. Je connais nos rivaux même, par aventure, A tous les deux jadis je servis de Mercure. Je vais donc les trouver, et par de faux discours, Pour jamais dans leurs coeurs éteindre leurs amours. J'ai déjà prudemment prévenu certain drôle, Qui d'un faux financier jouera fort bien le rôle. Mais le voilà qui vient, notre vrai financier. Courage, il faut ici faire un tour du métier. Il arrive à propos. Scène XV Crispin, Le Financier Le Financier, arrivant sans voir Crispin. Oui, voilà sa demeure; Sans doute je pourrai le trouver à cette heure. Mais, est-ce toi, Crispin? Crispin C'est votre serviteur. Et quel hasard, Monsieur, ou plutôt quel bonheur Fait qu'on vous trouve ici? Le Financier J'y fais un mariage. Crispin Vous mariez quelqu'un dans ce petit village? Le Financier Connais-tu Démocrite? Crispin Hé! je loge chez lui. Le Financier Quoi! tu loges chez lui? j'y viens moi-même aussi. Crispin Hé qu'y faire? Le Financier J'y viens pour épouser sa fille. Crispin Quoi! vous vous alliez avec cette famille! Le Financier Hé, ne fais-je pas bien? Crispin Je suis de la maison, Et je ne puis parler. Le Financier Tu me donnes soupçon De grâce, explique-toi. Crispin Je n'ose vous rien dire. Le Financier Quoi! tu me cacherais?... Crispin Je n'aime point à nuire. Le Financier Crispin, encore un coup... Crispin Ah! si l'on m'entendait, Je serais mort, Monsieur, et l'on m'assommerait. Le Financier Quoi! Crispin autrefois qui fut à mon service!... Crispin Enfin, vous voulez donc, Monsieur, que je périsse? Le Financier Ne t'embarrasse pas. Crispin Gardez donc le secret. Je suis perdu, Monsieur, si vous n'êtes discret. Je tremble. Le Financier Parle donc. Crispin Eh bien donc! cette fille, Son père et ses parents et toute la famille, Tombent d'un certain mal que je n'ose nommer. Le Financier Ha Crispin, quelle horreur! tu me fais frissonner. Je venais de ce pas rendre visite au père, Et peut-être, sans toi, j'eus terminé l'affaire. A présent, c'en est fait, je ne veux plus le voir, Je m'en retourne enfin à Paris dès ce soir. Crispin Je m'enfuis, mais sur tout gardez bien le silence. Le Financier Tiens! Crispin Je n'exige pas, Monsieur, de récompense. Le Financier Tiens donc. Crispin Vous le voulez, il faut vous obéir. Adieu, Monsieur motus! Scène XVI Le Financier, seul. Qu'allais-je devenir? J'aurais, sans son avis, fait un beau mariage! Elle m'eût apporté belle dot en partage! Je serais bien fâché d'être époux à ce prix; Je ne suis point assez de ses appas épris. Retirons-nous... Pourtant un peu de bienséance, A vrai dire, n'est pas de si grande importance. Démocrite m'attend avant que de quitter, Il est bon de le voir et de me rétracter. Scène XVII Le Financier, Toinette, Démocrite Le Financier frappe. Toinette, à la porte. Que voulez-vous, Monsieur? Le Financier Le seigneur Démocrite Est-il là ? je venais pour lui rendre visite. Toinette Démocrite, à une fenêtre. Qui frappe là -bas? à qui donc en veut-on? Le Financier répond. Le seigneur Démocrite est-il en sa maison? Démocrite J'y suis et je descends. Le Financier Vous vous trompiez, la belle. Toinette D'accord. Et à part. C'est bien en vain que j'ai fait sentinelle. Tout ceci va fort mal les desseins de Crispin, Autant qu'on peut juger, n'auront pas bonne fin. Je ne m'en mêle plus. Scène XVIII Le Financier, Démocrite Le Financier J'étais dans l'espérance De pouvoir avec vous contracter alliance. Un accident, Monsieur, m'oblige de partir J'ai cru de mon devoir de vous en avertir. Démocrite Vous êtes donc Monsieur de la Boursinière? Et quel malheur, Monsieur, quelle subite affaire Peut, en si peu de temps, causer votre départ? A cet éloignement ma fille a-t-elle part? Le Financier Non, Monsieur. Démocrite Permettez pourtant que je soupçonne; Et dans l'étonnement qu'un tel départ me donne, J'entrevois que peut-être ici quelque jaloux Pourrait, en ce moment, vous éloigner de nous. Vous ne répondez rien, avouez-moi la chose; D'un changement si grand apprenez-moi la cause. J'y suis intéressé; car si des envieux Vous avaient fait, Monsieur, des rapports odieux, Je ne vous retiens pas, mais daignez m'en instruire. Il faut vous détromper. Le Financier Que pourrais-je vous dire? Démocrite Non, non, il n'est plus temps de vouloir le celer. Je vois trop ce que c'est, et vous pouvez parler. Le Financier N'avez-vous pas chez vous un valet que l'on nomme Crispin? Démocrite Moi? de ce nom je ne connais personne. Le Financier Le fourbe! il m'a trompé. Démocrite Eh bien donc? ce Crispin? Le Financier Il s'est dit de chez vous. Démocrite Il ment, c'est un coquin. Le Financier Un mal affreux, dit-il, attaquait votre fille. Il en a dit autant de toute la famille. Démocrite D'un rapport si mauvais je ne puis me fâcher. Le Financier Mais il faut le punir, et je vais le chercher. Démocrite Allez, je vous attends. Le Financier Au reste, je vous prie, Que je ne souffre point de cette calomnie. Démocrite J'ai le coeur mieux placé. Scène XIX Démocrite, Frontin arrive, contrefaisant le Financier. Démocrite, sans le voir. Quelle méchanceté! Qui peut être l'auteur de cette fausseté? Frontin, contrefaisant le Financier. Le rôle que Crispin ici me donne à faire N'est pas des plus aisés, et veut bien du mystère. Démocrite, sans le voir. Souvent, sans le savoir, on a des ennemis Cachés sous le beau nom de nos meilleurs amis. Frontin Connaissez-vous ici le seigneur Démocrite? Je viens exprès ici pour lui rendre visite. Démocrite C'est moi. Frontin J'en suis ravi ce que j'ai de crédit Est à votre service. Démocrite Eh! mais, dans quel esprit Me l'offrez-vous, à moi? votre nom, que je sache, M'est inconnu; qu'importe?... On dirait qu'il se fâche. Est-on Turc avec ceux que l'on ne connaÃt pas? Je ne suis pas de ceux qui font tant de fracas. Frontin En buvant tous les deux, nous saurons qui nous sommes. Démocrite, bas. Il est, je l'avouerai, de ridicules hommes. Frontin Je suis de vos amis, je vous dirai mon nom. Démocrite Il ne s'agit ici de nom ni de surnom. Frontin Vous êtes aujourd'hui d'une humeur chagrinante Mon amitié pourtant n'est pas indifférente. Démocrite Finissons, s'il vous plaÃt. Frontin Je le veux. Dites-moi Comment va notre enfant? Elle est belle, ma foi; Je veux dès aujourd'hui lui donner sérénade. Démocrite Qu'elle se porte bien, ou qu'elle soit malade, Que vous importe à vous? Frontin Je la connais fort bien; Elle est riche, papa mais vous n'en dites rien; Il ne tiendra qu'à vous de terminer l'affaire. Démocrite Je n'entends rien, Monsieur, à tout ce beau mystère. Frontin Vous le dites. Démocrite J'en jure. Frontin Oh! point de jurement. Je ne vous en crois pas, même à votre serment. Démocrite, entre nous, point tant de modestie. Venons au fait. Démocrite Monsieur, avez-vous fait partie De vous moquer de moi? Frontin Morbleu! point de détours. Faites venir ici l'objet de mes amours. La friponne, je crois qu'elle en sera bien aise; Et vous l'êtes aussi, papa, ne vous déplaise. J'en suis ravi de même, et nous serons tous trois. En même temps, ici, plus contents que des rois. Savez-vous qui je suis? Démocrite Il ne m'importe guère. Frontin Ah! si vous le saviez, vous diriez le contraire. Démocrite Moi! Frontin Je gage que si. Je suis, pour abréger... Démocrite Je n'y prends nulle part, et ne veux point gager. Frontin C'est qu'il a peur de perdre. Démocrite Eh bien! soit je me lasse De ce galimatias; expliquez-vous de grâce. Frontin Je suis le financier qui devait sur le soir, Pour ce que vous savez, vous parler et vous voir. Démocrite, étonné. Quelle est donc cette énigme? Frontin Un peu de patience; J'adoucirai bientôt votre aigre révérence. J'ai mille francs et plus de revenu par jour Dites, avec cela peut-on faire l'amour? Grand nombre de chevaux, de laquais, d'équipages. Quand je me marierai, ma femme aura des pages. Voyez-vous cet habit? il est beau, somptueux; Un autre avec cela ferait le glorieux Fi! c'est un guenillon que je porte en campagne Vous croiriez ma maison un pays de cocagne. Voulez-vous voir mon train? il est fort près d'ici. Démocrite Je m'y perds. Frontin Ma livrée est magnifique aussi. Papa, savez-vous bien qu'un excès de tendresse Va rendre votre enfant de tant de biens maÃtresse? Vous avez, m'a-t-on dit, en rente, vingt mil francs. Partagez-nous-en dix, et nous serons contents. Après cela, mourez pour nous laisser le reste. Dites, en vérité, puis-je être plus modeste? Démocrite Non, je n'y connais rien; Monsieur le financier, Ou qui que vous soyez, il faudrait vous lier; Je ne puis démêler si c'est la fourberie, Ou si ce n'est enfin que pure frénésie Qui vous conduit ici mais n'y revenez plus. Frontin Adieu, je mangerai tout seul mes revenus. Vinssiez-vous à présent prier pour votre fille, J'abandonne à jamais votre ingrate famille. Frontin sort en riant. Scène XX Démocrite, seul. Je ne puis débrouiller tout ce galimatias, Et tout ceci me met dans un grand embarras. Scène XXI Démocrite, Crispin, déguisé en femme. Crispin N'est-ce pas vous, Monsieur, qu'on nomme Démocrite? Démocrite Crispin Vous êtes, dit-on, un homme de mérite; Et j'espère, Monsieur, de votre probité, Que vous écouterez mon infélicité Mais puis-je dans ces lieux me découvrir sans crainte? Démocrite Ne craignez rien. Crispin O ciel! sois touché de ma plainte! Vous me voyez, Monsieur, réduite au désespoir, Causé par un ingrat qui m'a su décevoir. Démocrite Dans un malheur si grand, pourrais-je quelque chose? Crispin Oui, Monsieur, vous allez en apprendre la cause Mais la force me manque, et, dans un tel récit, Mon coeur respire à peine, et ma douleur s'aigrit. Démocrite Calmez les mouvements dont votre âme agitée... Crispin Hélas! par les sanglots ma voix est arrêtée Mais enfin, il est temps d'avouer mon malheur. Daigne le juste ciel terminer ma douleur! J'aime depuis longtemps un Chevalier parjure, Qui sut de ses serments déguiser l'imposture, Le cruel! J'eus pitié de tous ses feints tourments. Hélas! de son bonheur je hâtai les moments. Je l'épousai, Monsieur mais notre mariage, A l'insu des parents, se fit dans un village; Et croyant avoir mis ma conscience en repos, Je me livrai, Monsieur. Pour comble de tous maux, Il différa toujours de m'avouer pour femme. Je répandis des pleurs pour attendrir son âme. Hélas! épargnez-moi ce triste souvenir, Et ne remédions qu'aux maux de l'avenir. Cet ingrat chevalier épouse votre fille. Démocrite Quoi! c'est celui qui veut entrer dans ma famille? Crispin Lui-même! vous voyez la noire trahison. Démocrite Cette action est noire. Crispin Hélas! c'est un fripon. Cet ingrat m'a séduite Ha Monsieur, quel dommage De tromper lâchement une fille à mon âge! Démocrite Il vient bien à propos, nous pourrons lui parler. Crispin veut s'en aller. Non, non, je vais sortir. Démocrite Pourquoi vous en aller? Crispin Ah! c'est un furieux. Démocrite Tenez-vous donc derrière; Il ne vous verra pas. Crispin J'ai peur. Démocrite Laissez-moi faire. Scène XXII Démocrite, Le Chevalier et Crispin, qui, pendant cette scène, fait tous les signes d'un homme qui veut s'en aller. Le Chevalier Quoique j'eus résolu de ne plus vous revoir Et que je dus partir de ces lieux dès ce soir, J'ai cru devoir encor rétracter ma parole, Résolu de ne point épouser une folle. Je suis fâché, Monsieur, de vous parler si franc; Mais vous méritez bien un pareil compliment, Puisque vous me trompiez, sans un avis fidèle. Votre fille est fort riche, elle est jeune, elle est belle; Mais les fréquents accès qui troublent son esprit Ne sont pas de mon goût. Démocrite Eh! qui vous l'a donc dit Qu'elle eût de ces accès? Le Chevalier J'ai promis de me taire. Celui de qui je tiens cet avis salutaire, Je le connais fort bien, et vous le connaissez. Cet homme est de chez vous, c'est vous en dire assez. Démocrite Cet homme a déjà fait une autre menterie C'est un nommé Crispin, insigne en fourberie; Je n'en sais que le nom, il n'est point de chez moi. Mais vous, n'avez-vous point engagé votre foi? Vous êtes interdit! que prétendiez-vous faire? Vous marier deux fois? Le Chevalier Quel est donc ce mystère? Démocrite Vous devriez rougir d'une telle action C'est du ciel s'attirer la malédiction. Et ne savez-vous pas que la polygamie Est ici cas pendable et qui coûte la vie? Le Chevalier Moi, je suis marié! qui vous fait ce rapport? Démocrite Oui, voilà mon auteur, regardez si j'ai tort. Le Chevalier Eh bien? Démocrite C'est votre femme. Le Chevalier Ah! le plaisant visage, Le ragoûtant objet que j'avais en partage! Mais je crois la connaÃtre. Ah parbleu! c'est Crispin, Lui-même. Démocrite, étonné. Ce fripon, cet insigne coquin? Le Chevalier Malheureux, tu m'as dit que Philine était folle, Réponds donc! Crispin Ah, Monsieur, j'ai perdu la parole. Démocrite Arrêtons ce maraud. Crispin Oui, je suis un fripon Ayez pitié de moi. Le Chevalier Mille coups de bâton, Fourbe, vont te payer. Scène XXIII Le Financier arrive; Démocrite, Crispin, Le Chevalier Le Financier Ma peine est inutile, Je crois que notre fourbe a regagné la ville, Je n'ai pu le trouver. Démocrite Regardez ce minois; Le reconnaissez-vous? Le Financier Eh! c'est Crispin, je crois. Démocrite C'est lui-même. Le Financier Voleur! Crispin, en tremblant. Ah! je suis prêt à rendre L'argent que j'ai reçu... vous me l'avez fait prendre. Démocrite, au financier. Qui m'aurait envoyé tantôt certain fripon? Il s'est dit financier, et prenait votre nom. Le Financier Le mien? Démocrite Oui, le coquin ne disait que sottises. Le Financier, à Crispin. N'était-ce pas de toi qu'il les avait apprises? Crispin Vous l'avez dit, oui, j'ai fait tout le mal; Mais à mon crime, hélas! mon regret est égal. Le Financier Ah! monsieur l'hypocrite! Scène XXIV Le Chevalier , Le Financier, Démocrite, Crispin, Ariste, suivi de MaÃtre Jacques Ariste Il faut nous en instruire. MaÃtre Jacques Pargué, ces biaux messieurs pourront bian nous le dire. Ariste Démocrite, Messieurs, est-il connu de vous? MaÃtre Jacques C'est que j'en savons un qui s'est moqué de nous. Velà , Monsieur, Ariste. Démocrite, avec précipitation. Ariste? MaÃtre Jacques Oui, lui-même. Démocrite Mais cela ne se peut, ma surprise est extrême. Ariste C'est cependant mon nom. MaÃtre Jacques J'étions venus tantôt Pour le voir mais j'avons trouvé queuque maraud, Qui disait comme ça qu'il était Démocrite. Mais le drôle a bian mal payé notre visite. Il avait avec lui queuque friponne itou, Qui tournait son esprit tout sens dessus dessous Alle faisait la folle, et se disait la fille De ce biau Démocrite; elle était bian habile. Enfin ils ont tant fait, qu'Ariste que velà , Qui venait pour les voir, les a tous plantés là . Or j'avons vu tantôt passer ce méchant drôle; J'ons tous deux en ce temps lâché quelque parole, Montrant ce Démocrite. "Hé bon! ce n'est pas li", A dit un paysan de ce village-ci. Dame! ça nous a fait sopçonner queuque chose. Monsieur, je sons trompé, j'en avons une dose, Ai-je dit, moi. Pargué! pour être plus certain, Je venons en tout ça savoir encor la fin. Ariste La chose est comme il dit. Démocrite C'est encor ton ouvrage, Dis, coquin? Crispin Il est vrai. MaÃtre Jacques Quel est donc ce visage? C'est notre homme! Démocrite, à Ariste. C'est lui, mais le fourbe a plus fait, Il m'a trompé de même, et vous a contrefait. Crispin Hélas! Démocrite Vous étiez trois qui demandiez ma fille; Et qui vouliez, Messieurs, entrer dans ma famille, Ma fille aimait déjà , elle avait fait son choix, Et refusait toujours d'épouser l'un des trois. Je vous ménageai tous, dans la douce espérance Avec un de vous trois d'entrer en alliance; J'ignore les raisons qui poussent ce coquin. Crispin Je vais tout avouer je m'appelle Crispin, Ecoutez-moi sans bruit, quatre mots font l'affaire. Démocrite frappe. Un laquais paraÃt qui fait venir Philine. Qu'on appelle ma fille. A tout ce beau mystère A-t-elle quelque part? Crispin Vous allez le savoir Ces trois messieurs devaient vous parler sur le soir, Et l'un des trois allait devenir votre gendre. Cléandre, au désespoir, voulait aller se pendre; Il aime votre fille, il en est fort aimé. Or, étant son valet, dans cette extrémité, Je m'offris sur le champ de détourner l'orage, Et Toinette avec moi joua son personnage. De tout ce qui s'est fait, enfin, je suis l'auteur; Mais je me repens bien d'être né trop bon coeur Sans cela... Démocrite Franc coquin! Et puis à sa fille qui entre. Vous voilà donc, ma fille! En fait de tours d'esprit, vous êtes fort habile, Mais votre habileté ne servira de rien Vous n'épouserez point un jeune homme sans bien. Déterminez-vous donc. Philine Mettez-vous à ma place, Mon père, et dites-moi ce qu'il faut que je fasse. Démocrite, à Crispin. Toi, sors d'ici, maraud, et ne parais jamais. Crispin, s'en allant. Je puis dire avoir vu le bâton de bien près. Il dit le vers suivant à Cléandre qui entre. Vous venez à propos quoi! vous osez paraÃtre! Scène XXV et dernière Démocrite, Cléandre, Philine, Toinette, Crispin, Le Chevalier, Le Financier, Ariste, MaÃtre Jacques. Cléandre De mon destin, Monsieur, je viens vous rendre maÃtre; Pardonnez aux effets d'un violent amour, Et vous-même dictez notre arrêt en ce jour. Je me suis, il est vrai, servi de stratagème; Mais que ne fait-on pas, pour avoir ce qu'on aime? On m'enlevait l'objet de mes plus tendres feux, Et, pour tout avouer, nous nous aimons tous deux. Vous connaissez, Monsieur, mon sort et ma famille; Mon procès est gagné, j'adore votre fille Prononcez, et s'il faut embrasser vos genoux... Ariste De vos liens, pour moi, je ne suis point jaloux. Le Chevalier A vos désirs aussi je suis prêt à souscrire Le Financier Je me dépars de tout, je ne puis pas plus dire. Philine Mon père, faites-moi grâce, et mon coeur est tout prêt S'il faut à mon amant renoncer pour jamais. Crispin Hélas! que de douceur! Toinette Monsieur, soyez sensible. Démocrite C'en est fait, et mon coeur cesse d'être inflexible. Levez-vous, finissez tous vos remerciements Je ne sépare plus de si tendres amants. Ces messieurs resteront pour la cérémonie. Soyez contents tous deux, votre peine est finie. Crispin, à Toinette. Finis la mienne aussi, marions-nous tous deux. Je suis pressé, Toinette. Toinette Es-tu bien amoureux? Crispin Ha! l'on ne vit jamais pareille impatience, Et l'amour dans mon coeur épuise sa puissance. Viens, ne retarde point l'instant de nos plaisirs Prends ce baiser pour gage, objet de mes désirs Un seul ne suffit pas. Toinette Quelle est donc ta folie? Que fais-tu? Crispin Je pelote en attendant partie. Cléandre Puisque vous vous aimez, je veux vous marier. Crispin Le veux-tu? Toinette J'y consens. Crispin Tu te fais bien prier! L'Amour et la vérité Dialogue entre l'Amour et la Vérité Comédie en trois actes et en prose Représentée pour la première fois par les comédiens italiens le 3 mars 1720 Dialogue entre l'Amour et la Vérité L'Amour. - Voici une dame que je prendrais pour la Vérité, si elle n'était si ajustée. La Vérité. - Si ce jeune enfant n'avait l'air un peu trop hardi, je le croirais l'Amour. L'Amour. - Elle me regarde. La Vérité. - Il m'examine. L'Amour. - Je soupçonne à peu près ce que ce peut être; mais soyons-en sûr. Madame, à ce que je vois, nous avons une curiosité mutuelle de savoir qui nous sommes; ne faisons point de façon de nous le dire. La Vérité. - J'y consens, et je commence. Ne seriez-vous pas le petit libertin d'Amour, qui depuis si longtemps tient ici-bas la place de l'Amour tendre? Enfin n'êtes-vous pas l'Amour à la mode? L'Amour. - Non, Madame, je ne suis ni libertin, ni par conséquent à la mode, et cependant je suis l'Amour. La Vérité. - Vous, l'Amour! L'Amour. - Oui, le voilà . Mais vous, Madame, ne tiendriez-vous pas lieu de la Vérité parmi les hommes? N'êtes-vous pas l'Erreur, ou la Flatterie? La Vérité. - Non, charmant Amour, je suis la Vérité même; je ne suis que cela. L'Amour. - Bon! Nous voilà deux divinités de grand crédit! Je vous demande pardon de vous avoir scandalisée, vous, dont l'honneur est de ne le pas être. La Vérité. - Ce reproche me fait rougir; mais je vous rendrai raison de l'équipage où vous me voyez, quand vous m'aurez rendu raison de l'air libertin et cavalier répandu sur vos habits et sur votre physionomie même. Qu'est devenu cet air de vivacité tendre et modeste? Que sont devenus ces yeux qui apprivoisaient la vertu même, qui ne demandaient que le coeur? Si ces yeux-là n'attendrissent point, ils débauchent. L'Amour. - Tels que vous les voyez cependant, ils ont déplu par leur sagesse; on leur en trouvait tant, qu'ils en étaient ridicules. La Vérité. - Et dans quel pays cela vous est-il arrivé? L'Amour. - Dans le pays du monde entier. Vous ne vous ressouvenez peut-être pas de l'origine de ce petit effronté d'Amour, pour qui vous m'avez pris. Hélas! C'est moi qui suis cause qu'il est né. La Vérité. - Comment cela? L'Amour. - J'eus querelle un jour avec l'Avarice et la Débauche. Vous avez combien j'ai d'aversion pour ces deux divinités; je leur donnai tant de marques de mépris, qu'elles résolurent de s'en venger. La Vérité. - Les méchantes! eh! que firent-elles? L'Amour. - Voici le tour qu'elles me jouèrent. La Débauche s'en alla chez Plutus, le dieu des richesses; le mit de bonne humeur, fit tomber la conversation sur Vénus, lui vanta ses beautés, sa blancheur, son embonpoint, etc. Plutus, à ce récit, prit un goût de conclusions, l'appétit vint au gourmand, il n'aima pas Vénus il la désira. La Vérité. - Le malhonnête. L'Amour. - Mais, comme il craignait d'être rebuté, la Débauche l'enhardit, en lui promettant son secours et celui de l'Avarice auprès de Vénus Vous êtes riche, lui dit-elle, ouvrez vos trésors à Vénus, tandis que mon amie l'Avarice appuiera vos offres auprès d'elle, et lui conseillera d'en profiter. Je vous aiderai de mon côté, moi. La Vérité. - Je commence à me remettre votre aventure. L'Amour. - Vous n'avez pas un grand génie, dit la Débauche à Plutus, mais vous êtes un gros garçon assez ragoûtant. Je ferai faire à Vénus une attention là -dessus, qui peut-être lui tiendra lieu de tendresse; vous serez magnifique, elle est femme. L'Avarice et moi, nous vous servirons bien, et il est des moments où il n'est pas besoin d'être aimé pour être heureux. La Vérité. - La plupart des amants doivent à ces moments-là toute leur fortune. L'Amour. - Après ce discours, Plutus impatient courut tenter l'aventure. Or, argent, bijoux, présents de toute sorte, soutenus de quelques bredouilleries, furent auprès de Vénus les truchements de sa belle passion. Que vous dirai-je enfin, ma chère? un moment de fragilité me donna pour frère ce vilain enfant qui m'usurpe aujourd'hui mon empire! ce petit dieu plus laid qu'un diable, et que Messieurs les hommes appellent Amour. La Vérité. - Hé bien! Est-ce en lui ressemblant que vous avez voulu vous venger de lui? L'Amour. - Laissez-moi achever; le petit fripon ne fut pas plutôt né, qu'il demanda son apanage. Cet apanage, c'était le droit d'agir sur les coeurs. Je ne daignai pas m'opposer à sa demande; je lui voyais des airs si grossiers, je lui remarquais un caractère si brutal, que je ne m'imaginai pas qu'il pût me nuire. Je comptais qu'il ferait peur en se présentant, et que ce monstre serait obligé de rabattre sur les animaux. La Vérité. - En effet, il n'était bon que pour eux. L'Amour. - Ses premiers coups d'essai ne furent pas heureux. Il insultait, bien loin de plaire; mais ma foi, le coeur de l'homme ne vaut pas grand'chose; ce maudit Amour fut insensiblement souffert; bientôt on le trouva plus badin que moi; moins gênant, moins formaliste, plus expéditif. Les goûts se partagèrent entre nous deux; il m'enleva de mes créatures. La Vérité. - Eh! que devÃntes-vous alors? L'Amour. - Quelques bonnes gens crièrent contre la corruption; mais ces bonnes gens n'étaient que des invalides, de vieux personnages, qui, disait-on, avaient leurs raisons pour haïr la réforme; gens à qui la lenteur de mes démarches convenait, et qui prêchaient le respect, faute, en le perdant, de pouvoir réparer l'injure. La Vérité. - Il en pouvait bien être quelque chose. L'Amour. - Enfin, Madame, ces tendres et tremblants aveux d'une passion, ces dépits délicats, ces transports d'amour d'après les plus innocentes faveurs, d'après mille petits riens précieux, tout cela disparut. L'un ouvrit sa bourse, l'autre gesticulait insolemment auprès d'une femme, et cela s'appelait une déclaration. La Vérité. - Ah! l'horreur! L'Amour. - A mon égard, j'ennuyais, je glaçais; on me regardait comme un innocent qui manquait d'expérience, et je ne fus plus célébré que par les poètes et les romanciers. La Vérité. - Cela vous rebuta? L'Amour. - Oui, je me retirai, ne laissant de moi que mon nom dont on abusait. Or, il y a quelque temps, que rêvant à ma triste aventure, il me vint dans l'esprit d'essayer si je pourrais me rétablir en mitigeant mon air tendre et modeste; peut-être, disais-je en moi-même, qu'à la faveur d'un air plus libre et plus hardi, plus conforme au goût où sont à présent les hommes, peut-être pourrais-je me glisser dans ces coeurs? ils ne me trouveront pas si singulier, et je détruirai mon ennemi par ses propres armes. Ce dessein pris, je partis, et je parus dans la mascarade où vous me voyez. La Vérité. - Je gage que vous n'y gagnâtes rien. L'Amour. - Ho vraiment! Je me trouvai bien loin de mon compte tout grenadier que je pensais être, dès que je me montrai, on me prit pour l'Amour le plus gothique qui ait jamais paru; je fus sifflé dans les Gaules comme une mauvaise comédie, et vous me voyez de retour de cette expédition. Voilà mon histoire. La Vérité. - Hélas! Je n'ai pas été plus heureuse que vous; on m'a chassée du monde. L'Amour. - Hé! qui? les chimistes, les devins, les faiseurs d'almanach, les philosophes? La Vérité. - Non, ces gens-là me m'ont jamais nui. On sait bien qu'ils mentent, ou qu'ils sont livrés à l'erreur, et je ne leur en veux aucun mal, car je ne suis point faite pour eux. L'Amour. - Vous avez raison. La Vérité. - Mais, que voulez-vous que les hommes fassent de moi? Le mensonge et la flatterie sont en si grand crédit parmi eux, qu'on est perdu dès qu'on se pique de m'honorer. Je ne suis bonne qu'à ruiner ceux qui me sont fidèles; par exemple, la flatterie rajeunit les vieux et les vieilles. Moi, je leur donne l'âge qu'ils ont. Cette femme dont les cheveux blanchissent à son insu, singe maladroit de l'étourderie folâtre des jeunes femmes, qui provoque la médisance par des galanteries qu'elle ne peut faire aboutir, qui se lève avec un visage de cinquante ans, et qui voudrait que ce visage n'en eût que trente, quand elle est ajustée, ira-t-on lui dire Madame, vous vous trompez dans votre calcul; votre somme est de vingt ans plus forte? non, sans doute; ses amis souscrivent à la soustraction. Telle a la physionomie d'une guenon, qui se croit du moins jolie; irez-vous mériter sa haine, en lui confiant à quoi elle ressemble pendant que, pour être un honnête homme auprès d'elle, il suffit de lui dire qu'elle est piquante? Cet homme s'imagine être un esprit supérieur; il se croit indispensablement obligé d'avoir raison partout; il décide, il redresse les autres; cependant ce n'est qu'un brouillon qui jouit d'une imagination déréglée. Ses amis feignent de l'admirer; pourquoi? Ils en attendent, ou lui doivent, leur fortune. L'Amour. - Il faut bien prendre patience. La Vérité. - Ainsi je n'ai plus que faire au monde. Cependant, comme la Flatterie est ma plus redoutable ennemie, et qu'en triomphant d'elle, je pourrais insensiblement rentrer dans tous mes honneurs, j'ai voulu m'humaniser je me suis déguisée, comme vous voyez, mais j'ai perdu mon étalage l'amour-propre des hommes est devenu d'une complexion si délicate, qu'il n'y a pas moyen de traiter avec lui; il a fallu m'en revenir encore. Pour vous, mon bel enfant, il me semble que vous aviez un asile et le mariage. L'Amour. - Le mariage! Y songez-vous? Ne savez-vous pas que le devoir des gens mariés est de s'aimer? La Vérité. - Hé bien! c'est à cause de cela que vous régnerez plus aisément parmi eux. L'Amour. - Soit; mais des gens obligés de s'aimer ne me conviennent point. Belle occupation pour un espiègle comme moi, que de faire les volontés d'un contrat; achevons de nous conter tout. Que venez-vous faire ici? La Vérité. - J'y viens exécuter un projet de vengeance; voyez-vous ce puits? Voilà le lieu de ma retraite; je vais m'enfermer dedans. L'Amour. - Ah! Ah! Le proverbe sera donc vrai, qui dit que la Vérité est au fond du puits. Et comment entendez-vous vous venger, là ? La Vérité. - Le voici. L'eau de ce puits va, par moi, recevoir une telle vertu, que quiconque en boira sera forcé de dire tout ce qu'il pense et de découvrir son coeur en toute occasion; nous sommes près de Rome, on vient souvent se promener ici; on y chasse; le chasseur se désaltère; et à succession de temps, je garnirai cette grande ville de gens naïfs, qui troubleront par leur franchise le commerce indigne de complaisance et de tromperie que la Flatterie y a introduit plus qu'ailleurs. L'Amour. - Nous allons donc être voisins; car, pendant que votre rancune s'exercera dans ce puits, la mienne agira dans cet arbre. Je vais y entrer; les fruits en sont beaux et bons, et me serviront à une petite malice qui sera tout à fait plaisante. Celui qui en mangera tombera subitement amoureux du premier objet qu'il apercevra. Que dites-vous de ce guet-apens? La Vérité. - Il est un peu fou. L'Amour. - Bon, il est digne de vous; mais adieu, je vais dans mon arbre. La Vérité. - Et moi, dans mon puits. Divertissement Ier air gracieusement. D'un doux regard elle vous jure Que vous êtes son favori, Mais c'est peut-être une imposture Puisqu'en faveur d'un autre elle a déjà souri. 2e air bourrée. Dans le même instant que son âme Dédaigneuse d'une autre flamme Semble se déclarer pour vous, Le motif de la préférence Empoisonne la jouissance D'un bien qui paraissait si doux. La coquette ne vous caresse Que pour alarmer la paresse D'un rival qui n'est point jaloux. 3e air menuet. L'amant trahi par ce qu'il aime Veut-il guérir presque en un jour? Qu'il aime ailleurs; l'amour lui-même Est le remède de l'amour. 4e air piqué. Vous qui croyez d'une inhumaine Ne vaincre jamais la rigueur, Pressez, la victoire est certaine, Vous ne connaissez pas son coeur; Il prend un masque qui le gêne; Son visage, c'est la douceur. 5e air gracieusement. Heureux, l'amant bien enflammé. Celui qui n'a jamais aimé Ne vit pas ou du moins l'ignore; Sans le plaisir d'être charmé D'un aimable objet qu'on adore S'apercevrait-on d'être né? 6e air piqué. Tel qui devant nous nous admire, S'en rit peut-être à quatre pas. Quand à son tour il nous fait rire C'est un secret qu'il ne sait pas; Oh! l'utile et charmante ruse Qui nous unit tous ici-bas; Qui de nous croit en pareil cas Etre la dupe qu'on abuse? 7e air gracieusement La raison veut que la sagesse Ait un empire sur l'amour; O vous, amants, dont la tendresse Nous attaque cent fois le jour, Quand il nous prend une faiblesse Ne pouvez-vous à votre tour Avoir un instant de sagesse? Arlequin désenchanté par la Raison chante le couplet suivant J'aimais Arlequin et ma foi, Je crois ma guérison complète; Mais, Messieurs, entre nous, j'en vois Qui peut-être, aussi bien que moi, Ont besoin d'un coup de baguette. Arlequin poli par l'Amour Acteurs de la comédie Comédie en un acte, en prose, Représentée pour la première fois par les comédiens italiens, le 17 octobre 1720 Acteurs de la comédie La Fée. Trivelin, domestique de la Fée. Arlequin, jeune homme enlevé par la Fée. Silvia, bergère, amante d'Arlequin. Un berger, amoureux de Silvia. Autre bergère, cousine de Silvia. Troupe de danseurs et chanteurs. Troupe de lutins. Scène première La Fée, Trivelin Le jardin de la Fée est représenté. Trivelin, à la Fée qui soupire. - Vous soupirez, Madame, et malheureusement pour vous, vous risquez de soupirer longtemps si votre raison n'y met ordre; me permettrez-vous de vous dire ici mon petit sentiment? La Fée. - Parle. Trivelin. - Le jeune homme que vous avez enlevé à ses parents est un beau brun, bien fait; c'est la figure la plus charmante du monde; il dormait dans un bois quand vous le vÃtes, et c'était assurément voir l'Amour endormi; je ne suis donc point surpris du penchant subit qui vous a pris pour lui. La Fée. - Est-il rien de plus naturel que d'aimer ce qui est aimable? Trivelin. - Oh sans doute; cependant avant cette aventure, vous aimiez assez le grand enchanteur Merlin. La Fée. - Eh bien, l'un me fait oublier l'autre cela est encore fort naturel. Trivelin. - C'est la pure nature; mais il reste une petite observation à faire c'est que vous enlevez le jeune homme endormi, quand peu de jours après vous allez épouser le même Merlin qui en a votre parole. Oh! cela devient sérieux; et entre nous, c'est prendre la nature un peu trop à la lettre; cependant passe encore; le pis qu'il en pouvait arriver, c'était d'être infidèle; cela serait très vilain dans un homme, mais dans une femme, cela est plus supportable quand une femme est fidèle, on l'admire; mais il y a des femmes modestes qui n'ont pas la vanité de vouloir être admirées; vous êtes de celles-là , moins de gloire, et plus de plaisir, à la bonne heure. La Fée. - De la gloire à la place où je suis, je serais une grande dupe de me gêner pour si peu de chose. Trivelin. - C'est bien dit, poursuivons vous portez le jeune homme endormi dans votre palais, et vous voilà à guetter le moment de son réveil; vous êtes en habit de conquête, et dans un attirail digne du mépris généreux que vous avez pour la gloire, vous vous attendiez de la part du beau garçon à la surprise la plus amoureuse; il s'éveille, et vous salue du regard le plus imbécile que jamais nigaud ait porté vous vous approchez, il bâille deux ou trois fois de toutes ses forces, s'allonge, se retourne et se rendort voilà l'histoire curieuse d'un réveil qui promettait une scène si intéressante. Vous sortez en soupirant de dépit, et peut-être chassée par un ronflement de basse-taille, aussi nourri qu'il en soit; une heure se passe, il se réveille encore, et ne voyant personne auprès de lui, il crie Eh! A ce cri galant, vous rentrez; l'Amour se frottait les yeux Que voulez-vous, beau jeune homme, lui dites-vous? Je veux goûter, moi, répond-il. Mais n'êtes-vous point surpris de me voir, ajoutez-vous? Eh! mais oui, repart-il. Depuis quinze jours qu'il est ici, sa conversation a toujours été de la même force; cependant vous l'aimez, et qui pis est, vous laissez penser à Merlin qu'il va vous épouser, et votre dessein, m'avez-vous dit, est, s'il est possible, d'épouser le jeune homme; franchement, si vous les prenez tous deux, suivant toutes les règles, le second mari doit gâter le premier. La Fée. - Je vais te répondre en deux mots la figure du jeune homme en question m'enchante; j'ignorais qu'il eût si peu d'esprit quand je l'ai enlevé. Pour moi, sa bêtise ne me rebute point j'aime, avec les grâces qu'il a déjà , celles que lui prêtera l'esprit quand il en aura. Quelle volupté de voir un homme aussi charmant me dire à mes pieds Je vous aime! Il est déjà le plus beau brun du monde mais sa bouche, ses yeux, tous ses traits seront adorables, quand un peu d'amour les aura retouchés; mes soins réussiront peut-être à lui en inspirer. Souvent il me regarde; et tous les jours je touche au moment où il peut me sentir et se sentir lui-même si cela lui arrive, sur-le-champ j'en fais mon mari; cette qualité le mettra alors à l'abri des fureurs de Merlin; mais avant cela, je n'ose mécontenter cet enchanteur, aussi puissant que moi, et avec qui je différerai le plus longtemps que je pourrai. Trivelin. - Mais si le jeune homme n'est jamais, ni plus amoureux, ni plus spirituel, si l'éducation que vous tâchez de lui donner ne réussit pas, vous épouserez donc Merlin? La Fée. - Non; car en l'épousant même je ne pourrais me déterminer à perdre de vue l'autre et si jamais il venait à m'aimer, toute mariée que je serais, je veux bien te l'avouer, je ne me fierais pas à moi. Trivelin. - Oh je m'en serais bien douté, sans que vous me l'eussiez dit Femme tentée, et femme vaincue, c'est tout un. Mais je vois notre bel imbécile qui vient avec son maÃtre à danser. Scène II Arlequin entre, la tête dans l'estomac, ou de la façon niaise dont il voudra, son maÃtre à danser, la Fée, Trivelin La Fée. - Eh bien, aimable enfant, vous me paraissez triste y a-t-il quelque chose ici qui vous déplaise? Arlequin. - Moi, je n'en sais rien. Trivelin rit. La Fée, à Trivelin. - Oh! je vous prie, ne riez pas, cela me fait injure, je l'aime, cela vous suffit pour le respecter. Pendant ce temps Arlequin prend des mouches, la Fée continuant à parler à Arlequin. Voulez-vous bien prendre votre leçon, mon cher enfant? Arlequin, comme n'ayant pas entendu. - Hem. La Fée. - Voulez-vous prendre votre leçon, pour l'amour de moi? Arlequin. - Non. La Fée. - Quoi! vous me refusez si peu de chose, à moi qui vous aime? Alors Arlequin lui voit une grosse bague au doigt, il lui va prendre la main, regarde la bague, et lève la tête en se mettant à rire niaisement. La Fée. - Voulez-vous que je vous la donne? Arlequin. - Oui-dà . La Fée tire la bague de son doigt, et lui présente. Comme il la prend grossièrement, elle lui dit. - Mon cher Arlequin, un beau garçon comme vous, quand une dame lui présente quelque chose, doit baiser la main en le recevant. Arlequin alors prend goulûment la main de la Fée qu'il baise. La Fée dit. - Il ne m'entend pas, mais du moins sa méprise m'a fait plaisir. Elle ajoute Baisez la vôtre à présent. Arlequin alors baise le dessus de sa main; la Fée soupire, et lui donnant sa bague, lui dit La voilà , en revanche, recevez votre leçon. Alors le maÃtre à danser apprend à Arlequin à faire la révérence. Arlequin égaie cette scène de tout ce que son génie peut lui fournir de propre au sujet. Arlequin. - Je m'ennuie. La Fée. - En voilà donc assez nous allons tâcher de vous divertir. Arlequin alors saute de joie du divertissement proposé, et dit en riant. - Divertir, divertir. Scène III La Fée, Arlequin, Trivelin Une troupe de chanteurs et danseurs. La Fée fait asseoir Arlequin alors auprès d'elle sur un banc de gazon qui sera auprès de la grille du théâtre. Pendant qu'on danse, Arlequin siffle. Un Chanteur, à Arlequin. Beau brunet, l'Amour vous appelle. Arlequin, à ce vers, se lève niaisement et dit. - Je ne l'entends pas, où est-il? Il l'appelle Hé! hé! Le Chanteur continue. Beau brunet, l'Amour vous appelle. Arlequin, en se rasseyant, dit. - Qu'il crie donc plus haut. Le Chanteur continue en lui montrant la Fée. Voyez-vous cet objet charmant, Ces yeux dont l'ardeur étincelle, Vous répètent à tout moment Beau brunet, l'Amour vous appelle. Arlequin, alors en regardant les yeux de la Fée, dit. - Dame, cela est drôle! Une Chanteuse bergère vient, et dit à Arlequin. Aimez, aimez, rien n'est si doux. Arlequin, là -dessus, répond. - Apprenez, apprenez-moi cela. La Chanteuse continue en le regardant. Ah! que je plains votre ignorance. Quel bonheur pour moi, quand j'y pense, Elle montre le chanteur. Qu'Atys en sache plus que vous! La Fée, alors en se levant, dit à Arlequin. - Cher Arlequin, ces tendres chansons ne vous inspirent-elles rien? Que sentez-vous? Arlequin. - Je sens un grand appétit. Trivelin. - C'est-à -dire qu'il soupire après sa collation; mais voici un paysan qui veut vous donner le plaisir d'une danse de village, après quoi nous irons manger. Un paysan danse. La Fée se rassied, et fait asseoir Arlequin qui s'endort. Quand la danse finit, la Fée le tire par le bras, et lui dit en se levant. - Vous vous endormez, que faut-il donc faire pour vous amuser? Arlequin, en se réveillant, pleure. - Hi, hi, hi, mon père, eh! je ne vois point ma mère! La Fée, à Trivelin. - Emmenez-le, il se distraira peut-être, en mangeant, du chagrin qui le prend; je sors d'ici pour quelques moments; quand il aura fait collation, laissez-le se promener où il voudra. Ils sortent tous. Scène IV Silvia, Le Berger La scène change et représente au loin quelques moutons qui paissent. Silvia entre sur la scène en habit de bergère, une houlette à la main, un berger la suit. Le Vous me fuyez, belle Silvia? Silvia. - Que voulez-vous que je fasse, vous m'entretenez d'une chose qui m'ennuie, vous me parlez toujours d'amour. Le Berger. - Je vous parle de ce que je sens. Silvia. - Oui, mais je ne sens rien, moi. Le Berger. - Voilà ce qui me désespère. Silvia. - Ce n'est pas ma faute, je sais bien que toutes nos bergères ont chacune un berger qui ne les quitte point; elles me disent qu'elles aiment, qu'elles soupirent; elles y trouvent leur plaisir. Pour moi, je suis bien malheureuse depuis que vous dites que vous soupirez pour moi, j'ai fait ce que j'ai pu pour soupirer aussi, car j'aimerais autant qu'une autre à être bien aise; s'il y avait quelque secret pour cela, tenez, je vous rendrais heureux tout d'un coup, car je suis naturellement bonne. Le Berger. - Hélas! pour de secret, je n'en sais point d'autre que celui de vous aimer moi-même. Silvia. - Apparemment que ce secret-là ne vaut rien; car je ne vous aime point encore, et j'en suis bien fâchée; comment avez-vous fait pour m'aimer, vous? Le Berger. - Moi, je vous ai vue voilà tout. Silvia. - Voyez quelle différence; et moi, plus je vous vois et moins je vous aime. N'importe, allez, allez, cela viendra peut-être, mais ne me gênez point. Par exemple, à présent, je vous haïrais si vous restiez ici. Le Berger. - Je me retirerai donc, puisque c'est vous plaire, mais pour me consoler, donnez-moi votre main, que je la baise. Silvia. - Oh non! on dit que c'est une faveur, et qu'il n'est pas honnête d'en faire, et cela est vrai, car je sais bien que les bergères se cachent de cela. Le Berger. - Personne ne nous voit. Silvia. - Oui; mais puisque c'est une faute, je ne veux point la faire qu'elle ne me donne du plaisir comme aux autres. Le Berger. - Adieu donc, belle Silvia, songez quelquefois à moi. Silvia. - Oui, oui. Scène V Silvia, Arlequin, mais il ne vient qu'un moment après que Silvia a été seule. Silvia. - Que ce berger me déplaÃt avec son amour! Toutes les fois qu'il me parle, je suis toute de méchante humeur. Et puis voyant Arlequin. Mais qui est-ce qui vient là ? Ah mon Dieu le beau garçon! Arlequin entre en jouant au volant, il vient de cette façon jusqu'aux pieds de Silvia, là il laisse en jouant tomber le volant, et, en se baissant pour le ramasser, il voit Silvia; il demeure étonné et courbé; petit à petit et par secousses il se redresse le corps quand il s'est entièrement redressé, il la regarde, elle, honteuse, feint de se retirer dans son embarras, il l'arrête, et dit. - Vous êtes bien pressée? Silvia. - Je me retire, car je ne vous connais pas. Arlequin. - Vous ne me connaissez pas? tant pis; faisons connaissance, voulez-vous? Silvia, encore honteuse. - Je le veux bien. Arlequin, alors s'approche d'elle et lui marque sa joie par de petits ris, et dit. - Que vous êtes jolie! Silvia. - Vous êtes bien obligeant. Arlequin. - Oh point, je dis la vérité. Silvia, en riant un peu à son tour. - Vous êtes bien joli aussi, vous. Arlequin. - Tant mieux où demeurez-vous? je vous irai voir. Silvia. - Je demeure tout près; mais il ne faut pas venir; il vaut mieux nous voir toujours ici, parce qu'il y a un berger qui m'aime; il serait jaloux, et il nous suivrait. Arlequin. - Ce berger-là vous aime? Silvia. - Oui. Arlequin. - Voyez donc cet impertinent! je ne le veux pas, moi. Est-ce que vous l'aimez, vous? Silvia. - Non, je n'en ai jamais pu venir à bout. Arlequin. - C'est bien fait, il faut n'aimer personne que nous deux; voyez si vous le pouvez? Silvia. - Oh! de reste, je ne trouve rien de si aisé. Arlequin. - Tout de bon? Silvia. - Oh! je ne mens jamais, mais où demeurez-vous aussi? Arlequin, lui montrant du doigt. - Dans cette grande maison. Silvia. - Quoi! chez la fée? Arlequin. - Oui. Silvia, tristement. - J'ai toujours eu du malheur. Arlequin, tristement aussi. - Qu'est-ce que vous avez, ma chère amie? Silvia. - C'est que cette fée est plus belle que moi, et j'ai peur que notre amitié ne tienne pas. Arlequin, impatiemment. - J'aimerais mieux mourir. Et puis tendrement. Allez, ne vous affligez pas, mon petit coeur. Silvia. - Vous m'aimerez donc toujours? Arlequin. - Tant que je serai en vie. Silvia. - Ce serait bien dommage de me tromper, car je suis si simple. Mais mes moutons s'écartent, on me gronderait s'il s'en perdait quelqu'un il faut que je m'en aille. Quand reviendrez-vous? Arlequin, avec chagrin. - Oh! que ces moutons me fâchent! Silvia. - Et moi aussi, mais que faire? Serez-vous ici sur le soir? Arlequin. - Sans faute. En disant cela il lui prend la main et il ajoute Oh les jolis petits doigts! Il lui baise la main et dit Je n'ai jamais eu de bonbon si bon que cela. Silvia rit et dit. - Adieu donc. Et puis à part. Voilà que je soupire, et je n'ai point eu de secret pour cela. Elle laisse tomber son mouchoir en s'en allant. Arlequin le ramasse et la rappelle pour lui donner. Arlequin. - Mon amie! Silvia. - Que voulez-vous, mon amant?. Et puis voyant son mouchoir entre les mains d'Arlequin. Ah! c'est mon mouchoir, donnez. Arlequin le tend, et puis retire la main; il hésite, et enfin il le garde, et dit - Non, je veux le garder, il me tiendra compagnie qu'est-ce que vous en faites? Silvia. - Je me lave quelquefois le visage, et je m'essuie avec. Arlequin, en le déployant. - Et par où vous sert-il, afin que je le baise par là ? Silvia, en s'en allant. - Partout, mais j'ai hâte, je ne vois plus mes moutons; adieu, jusqu'à tantôt. Arlequin la salue en faisant des singeries, et se retire aussi. Scène VI La fée, Trivelin La scène change, et représente le jardin de la Fée. La Fée. - Eh bien! notre jeune homme, a-t-il goûté? Trivelin. - Oui, goûté comme quatre il excelle en fait d'appétit. La Fée. - Où est-il à présent? Trivelin. - Je crois qu'il joue au volant dans les prairies; mais j'ai une nouvelle à vous apprendre. La Fée. - Quoi, qu'est-ce que c'est? Trivelin. - Merlin est venu pour vous voir. La Fée. - Je suis ravie de ne m'y être point rencontrée; car c'est une grande peine que de feindre de l'amour pour qui l'on n'en sent plus. Trivelin. - En vérité, Madame, c'est bien dommage que ce petit innocent l'ait chassé de votre coeur! Merlin est au comble de la joie, il croit vous épouser incessamment. Imagines-tu quelque chose d'aussi beau qu'elle? me disait-il tantôt, en regardant votre portrait. Ah! Trivelin, que de plaisirs m'attendent! Mais je vois bien que de ces plaisirs-là il n'en tâtera qu'en idée, et cela est d'une triste ressource, quand on s'en est promis la belle et bonne réalité. Il reviendra, comment vous tirerez-vous d'affaire avec lui? La Fée. - Jusqu'ici je n'ai point encore d'autre parti à prendre que de le tromper. Trivelin. - Eh! n'en sentez-vous pas quelque remords de conscience? La Fée. - Oh! j'ai bien d'autres choses en tête, qu'à m'amuser à consulter ma conscience sur une bagatelle. Trivelin, à part. - Voilà ce qui s'appelle un coeur de femme complet. La Fée. - Je m'ennuie de ne point voir Arlequin; je vais le chercher; mais le voilà qui vient à nous qu'en dis-tu, Trivelin? il me semble qu'il se tient mieux qu'à l'ordinaire? Scène VII La Fée, Trivelin, Arlequin Arlequin arrive tenant en main le mouchoir de Silvia qu'il regarde, et dont il se frotte tout doucement le visage. La Fée, continuant de parler à Trivelin. - Je suis curieuse de voir ce qu'il fera tout seul, mets-toi à côté de moi, je vais tourner mon anneau qui nous rendra invisibles. Arlequin arrive au bord du théâtre, et il saute en tenant le mouchoir de Silvia, il le met dans son sein, il se couche et se roule dessus; et tout cela gaiement. La Fée, à Trivelin. - Qu'est-ce que cela veut dire? Cela me paraÃt singulier. Où a-t-il pris ce mouchoir? Ne serait-ce pas un des miens qu'il aurait trouvé? Ah! si cela était, Trivelin, toutes ces postures-là seraient peut-être de bon augure. Trivelin. - Je gagerais moi que c'est un linge qui sent le musc. La Fée. - Oh non! Je veux lui parler, mais éloignons-nous un peu pour feindre que nous arrivons. Elle s'éloigne de quelques pas, pendant qu'Arlequin se promène en long en chantant Ter li ta ta li ta. La Fée. - Bonjour, Arlequin. Arlequin, en tirant le pied, et mettant le mouchoir sous son bras. - Je suis votre très humble serviteur. La Fée, à part à Trivelin. - Comment! voilà des manières! il ne m'en a jamais tant dit depuis qu'il est ici. Arlequin, à la Fée. - Madame, voulez-vous avoir la bonté de vouloir bien me dire comment on est quand on aime bien une personne? La Fée, charmée à Trivelin. - Trivelin, entends-tu? Et puis à Arlequin. Quand on aime, mon cher enfant, on souhaite toujours de voir les gens, on ne peut se séparer d'eux, on les perd de vue avec chagrin enfin on sent des transports, des impatiences et souvent des désirs. Arlequin, en sautant d'aise et comme à part. - M'y voilà . La Fée. - Est-ce que vous sentez tout ce que je dis là ? Arlequin, d'un air indifférent. - Non, c'est une curiosité que j'ai. Trivelin. - Il jase vraiment! La Fée. - Il jase, il est vrai, mais sa réponse ne me plaÃt pas mon cher Arlequin, ce n'est donc pas de moi que vous parlez? Arlequin. - Oh! je ne suis pas un niais, je ne dis pas ce que je pense. La Fée, avec feu, et d'un ton brusque. - Qu'est-ce que cela signifie? Où avez-vous pris ce mouchoir? Arlequin, la regardant avec crainte. - Je l'ai pris à terre. La Fée. - A qui est-il? Arlequin. - Il est à ... Et puis s'arrêtant. Je n'en sais rien. La Fée. - Il y a quelque mystère désolant là -dessous! Donnez-moi ce mouchoir! Elle lui arrache, et après l'avoir regardé avec chagrin, et à part. Il n'est pas à moi et il le baisait; n'importe, cachons-lui mes soupçons, et ne l'intimidons pas; car il ne me découvrirait rien. Arlequin, alors va, le chapeau bas et humblement, lui redemander le mouchoir. - Ayez la charité de me rendre le mouchoir. La Fée, en soupirant en secret. - Tenez, Arlequin, je ne veux pas vous l'ôter, puisqu'il vous fait plaisir. Arlequin en le recevant baise la main, la salue, et s'en va. La Fée, le regardant. - Vous me quittez; où allez-vous? Arlequin. - Dormir sous un arbre. La Fée, doucement. - Allez, allez. Scène VIII La Fée, Trivelin La Fée. - Ah! Trivelin, je suis perdue. Trivelin. - Je vous avoue, Madame, que voici une aventure où je ne comprends rien, que serait-il donc arrivé à ce petit peste-là ? La Fée, au désespoir et avec feu. - Il a de l'esprit, Trivelin, il en a, et je n'en suis pas mieux, je suis plus folle que jamais. Ah! quel coup pour moi, que le petit ingrat vient de me paraÃtre aimable! As-tu vu comme il est changé? As-tu remarqué de quel air il me parlait? combien sa physionomie était devenue fine? Et ce n'est pas de moi qu'il tient toutes ces grâces-là ! Il a déjà de la délicatesse de sentiment, il s'est retenu, il n'ose me dire à qui appartient le mouchoir, il devine que j'en serais jalouse; ah! qu'il faut qu'il ait pris d'amour pour avoir déjà tant d'esprit! Que je suis malheureuse! Une autre lui entendra dire ce je vous aime que j'ai tant désiré, et je sens qu'il méritera d'être adoré; je suis au désespoir. Sortons, Trivelin; il s'agit ici de découvrir ma rivale, je vais le suivre et parcourir tous les lieux où ils pourront se voir. Cherche de ton côté, va vite, je me meurs. Scène IX Silvia, une de ses cousines La scène change et représente une prairie où de loin paissent des moutons. Silvia. - Arrête-toi un moment, ma cousine; je t'aurai bientôt conté mon histoire, et tu me donneras quelque avis. Tiens, j'étais ici quand il est venu; dès qu'il s'est approché, le coeur m'a dit que je l'aimais; cela est admirable! Il s'est approché aussi, il m'a parlé; sais-tu ce qu'il m'a dit? Qu'il m'aimait aussi. J'étais plus contente que si on m'avait donné tous les moutons du hameau vraiment je ne m'étonne pas si toutes nos bergères sont si aises d'aimer; je voudrais n'avoir fait que cela depuis que je suis au monde, tant je le trouve charmant; mais ce n'est pas tout, il doit revenir ici bientôt; il m'a déjà baisé la main, et je vois bien qu'il voudra me la baiser encore. Donne-moi conseil, toi qui as eu tant d'amants; dois-je le laisser faire? La Cousine. - Garde-t'en bien, ma cousine, sois bien sévère, cela entretient l'amour d'un amant. Silvia. - Quoi, il n'y a point de moyen plus aisé que cela pour l'entretenir? La Cousine. - Non; il ne faut point aussi lui dire tant que tu l'aimes. Silvia. - Eh! comment s'en empêcher? Je suis encore trop jeune pour pouvoir me gêner. La Cousine. - Fais comme tu pourras, mais on m'attend, je ne puis rester plus longtemps, adieu, ma cousine. Scène X Silvia, un moment après. - Que je suis inquiète! j'aimerais autant ne point aimer que d'être obligée d'être sévère; cependant elle dit que cela entretient l'amour, voilà qui est étrange; on devrait bien changer une manière si incommode; ceux qui l'on inventée n'aimaient pas tant que moi. Scène XI Silvia, Arlequin Arlequin arrive. Silvia, en le voyant. - Voici mon amant; que j'aurai de peine à me retenir! Dès qu'Arlequin l'aperçoit, il vient à elle en sautant de joie; il lui fait des caresses avec son chapeau, auquel il a attaché le mouchoir, il tourne autour de Silvia, tantôt il baise le mouchoir, tantôt il caresse Silvia. Arlequin. - Vous voilà donc, mon petit coeur? Silvia, en riant. - Oui, mon amant. Arlequin. - Etes-vous bien aise de me voir? Silvia. - Assez. Arlequin, en répétant ce mot. - Assez, ce n'est pas assez. Silvia. - Oh si fait, il n'en faut pas davantage. Arlequin ici lui prend la main, Silvia paraÃt embarrassé. Arlequin, en la tenant, dit. - Et moi, je ne veux pas que vous disiez comme cela. Il veut alors lui baiser la main, en disant ces derniers mots. Silvia, retirant sa main. - Ne me baisez pas la main au moins. Arlequin, fâché. - Ne voilà -t-il pas encore? Allez, vous êtes une trompeuse. Il pleure. Silvia, tendrement, en lui prenant le menton. - Hélas! mon petit amant, ne pleurez pas. Arlequin, continuant de gémir. - Vous m'aviez promis votre amitié. Silvia. - Eh! je vous l'ai donnée. Arlequin. - Non quand on aime les gens, on ne les empêche pas de baiser sa main. En lui offrant la sienne. Tenez, voilà la mienne; voyez si je ferai comme vous. Silvia, en se ressouvenant des conseils de sa cousine. - Oh! ma cousine dira ce qu'elle voudra, mais je ne puis y tenir. Là , là , consolez-vous, mon amant, et baisez ma main puisque vous en avez envie; baisez, mais écoutez, n'allez pas me demander combien je vous aime, car je vous en dirais toujours la moitié moins qu'il n'y en a. Cela n'empêchera pas que, dans le fond, je ne vous aime de tout mon coeur; mais vous ne devez pas le savoir, parce que cela vous ôterait votre amitié, on me l'a dit. Arlequin, d'une voix plaintive. - Tous ceux qui vous ont dit cela ont fait un mensonge ce sont des causeurs qui n'entendent rien à notre affaire. Le coeur me bat quand je baise votre main et que vous dites que vous m'aimez, et c'est marque que ces choses-là sont bonnes à mon amitié. Silvia. - Cela se peut bien, car la mienne en va de mieux en mieux aussi; mais n'importe, puisqu'on dit que cela ne vaut rien, faisons un marché de peur d'accident toutes les fois que vous me demanderez si j'ai beaucoup d'amitié pour vous, je vous répondrai que je n'en ai guère, et cela ne sera pourtant pas vrai; et quand vous voudrez me baiser la main, je ne le voudrai pas, et pourtant j'en aurai envie. Arlequin, en riant. - Eh! eh! cela sera drôle! je le veux bien; mais avant ce marché-là , laissez-moi baiser votre main à mon aise, cela ne sera pas du jeu. Silvia. - Baisez, cela est juste. Arlequin lui baise et rebaise la main, et après, faisant réflexion au plaisir qu'il vient d'avoir, il dit. - Oh! mais, mon amie, peut-être que le marché nous fâchera tous deux. Silvia. - Eh! quand cela nous fâchera tout de bon, ne sommes-nous pas les maÃtres? Arlequin. - Il est vrai, mon amie; cela est donc arrêté? Silvia. - Oui. Arlequin. - Cela sera tout divertissant voyons pour voir. Arlequin ici badine, et l'interroge pour rire. M'aimez-vous beaucoup? Silvia. - Pas beaucoup. Arlequin, sérieusement. - Ce n'est que pour rire au moins, autrement... Silvia, riant. - Eh! sans doute. Arlequin, poursuivant toujours la badinerie, et riant. - Ah! ah! ah! Et puis pour badiner encore. Donnez-moi votre main, ma mignonne. Silvia. - Je ne le veux pas. Arlequin, souriant. - Je sais pourtant que vous le voudriez bien. Silvia. - Plus que vous; mais je ne veux pas le dire. Arlequin, souriant encore ici, et puis changeant de façon, et tristement. - Je veux la baiser, ou je serai fâché. Silvia. - Vous badinez, mon amant? Arlequin, comme tristement toujours. - Non. Silvia. - Quoi! c'est tout de bon? Arlequin. - Tout de bon. Silvia, en lui tendant la main. - Tenez donc. Scène XII La Fée, Arlequin, Silvia Ici la Fée qui les cherchait arrive, et dit à part en retournant son anneau. - Ah! je vois mon malheur! Arlequin, après avoir baisé la main de Silvia. - Dame! je badinais. Silvia. - Je vois bien que vous m'avez attrapée, mais j'en profite aussi. Arlequin, qui lui tient toujours la main. - Voilà un petit mot qui me plaÃt comme tout. La Fée, à part. - Ah! juste ciel, quel langage! Paraissons. Elle retourne son anneau. Silvia, effrayée de la voir, fait un cri. - Ah! Arlequin, de son côté. - Ouf! La Fée, à Arlequin avec altération. - Vous en savez déjà beaucoup! Arlequin, embarrassé. - Eh! eh! je ne savais pourtant pas que vous étiez là . La Fée, en le regardant fixement. - Ingrat! Et puis le touchant de sa baguette. Suivez-moi. Après ce dernier mot, elle touche aussi Silvia sans lui rien dire. Silvia, touchée, dit. - Miséricorde! La Fée alors part avec Arlequin, qui marche devant en silence et comme par compas. Scène XIII Silvia, seule, tremblante, et sans bouger. - Ah! la méchante femme, je tremble encore de peur. Hélas! peut-être qu'elle va tuer mon amant, elle ne lui pardonnera jamais de m'aimer, mais je sais bien comment je ferai; je m'en vais assembler tous les bergers du hameau, et les mener chez elle allons. Silvia là -dessus veut marcher, mais elle ne peut avancer un pas, elle dit Qu'est-ce que j'ai donc? Je ne puis me remuer. Elle fait des efforts et ajoute Ah! cette magicienne m'a jeté un sortilège aux jambes. A ces mots, deux ou trois Lutins viennent pour l'enlever. Silvia, tremblante. - Ahi! Ahi! Messieurs, ayez pitié de moi, au secours, au secours! Un des Lutins. - Suivez-nous, suivez-nous. Silvia. - Je ne veux pas, je veux retourner au logis. Un autre Lutin. - Marchons. Ils l'enlèvent en criant. Scène XIV La scène change et représente le jardin de la Fée. La Fée paraÃt avec Arlequin, qui marche devant elle dans la même posture qu'il a fait ci-devant, et la tête baissée. - Fourbe que tu es! je n'ai pu paraÃtre aimable à tes yeux, je n'ai pu t'inspirer le moindre sentiment, malgré tous les soins et toute la tendresse que tu m'as vue; et ton changement est l'ouvrage d'une misérable bergère! Réponds, ingrat, que lui trouves-tu de si charmant? Parle. Arlequin, feignant d'être retombé dans sa bêtise. - Qu'est-ce que vous voulez? La Fée. - Je ne te conseille pas d'affecter une stupidité que tu n'as plus, et si tu ne te montres tel que tu es, tu vas me voir poignarder l'indigne objet de ton choix. Arlequin, vite et avec crainte. - Eh! non, non; je vous promets que j'aurai de l'esprit autant que vous le voudrez. La Fée. - Tu trembles pour elle. Arlequin. - C'est que je n'aime à voir mourir personne. La Fée. - Tu me verras mourir, moi, si tu ne m'aimes. Arlequin, en la flattant. - Ne soyez donc point en colère contre nous. La Fée, en s'attendrissant. - Ah! mon cher Arlequin, regarde-moi, repens-toi de m'avoir désespérée, j'oublierai de quelle part t'est venu ton esprit; mais puisque tu en as, qu'il te serve à connaÃtre les avantages que je t'offre. Arlequin. - Tenez, dans le fond, je vois bien que j'ai tort; vous êtes belle et brave cent fois plus que l'autre, mais j'enrage. La Fée. - Eh! de quoi? Arlequin. - C'est que j'ai laissé prendre mon coeur par cette petite friponne qui est plus laide que vous. La Fée soupire en secret et dit. - Arlequin, voudrais-tu aimer une personne qui te trompe, qui a voulu badiner avec toi, et qui ne t'aime pas? Arlequin. - Oh! pour cela si fait, elle m'aime à la folie. La Fée. - Elle t'abusait, je le sais bien, puisqu'elle doit épouser un berger du village qui est son amant si tu veux, je m'en vais l'envoyer chercher, et elle te le dira elle-même. Arlequin, en se mettant la main sur la poitrine ou sur son coeur. - Tic, tac, tic, tac, ouf voilà des paroles qui me rendent malade. Et puis vite. Allons, allons, je veux savoir cela; car si elle me trompe, jarni, je vous caresserai, je vous épouserai devant ses deux yeux pour la punir. La Fée. - Eh bien! je vais donc l'envoyer chercher. Arlequin, encore ému. - Oui; mais vous êtes bien fine, si vous êtes là quand elle me parlera, vous lui ferez la grimace, elle vous craindra, et elle n'osera me dire rondement sa pensée. La Fée. - Je me retirerai. Arlequin. - La peste! vous êtes une sorcière, vous nous jouerez un tour comme tantôt, et elle s'en doutera vous êtes au milieu du monde, et on ne voit rien. Oh! je ne veux point que vous trichiez; faites un serment que vous n'y serez pas en cachette. La Fée. - Je te le jure, foi de fée. Arlequin. - Je ne sais point si ce juron-là est bon; mais je me souviens à cette heure, quand on me lisait des histoires, d'avoir vu qu'on jurait par le six, le tix, oui, le Styx. La Fée. - C'est la même chose. Arlequin. - N'importe, jurez toujours; dame, puisque vous craignez, c'est que c'est le meilleur. La Fée, après avoir rêvé. - Eh bien! je n'y serai point, je t'en jure par le Styx, et je vais donner ordre qu'on l'amène ici. Arlequin. - Et moi en attendant je m'en vais gémir en me promenant. Il sort. Scène XV La Fée, seule. - Mon serment me lie, mais je n'en sais pas moins le moyen d'épouvanter la bergère sans être présente, et il me reste une ressource; je donnerai mon anneau à Trivelin qui les écoutera invisible, et qui me rapportera ce qu'ils auront dit Appelons-le Trivelin! Trivelin! Scène XVI La Fée, Trivelin Trivelin vient. - Que voulez-vous, Madame? La Fée. - Faites venir ici cette bergère, je veux lui parler; et vous, prenez cette bague. Quand j'aurai quitté cette fille, vous avertirez Arlequin de lui venir parler, et vous le suivrez sans qu'il le sache pour venir écouter leur entretien, avec la précaution de retourner la bague, pour n'être point vu d'eux; après quoi, vous me redirez leur discours entendez-vous? Soyez exact, je vous prie. Trivelin. - Oui, Madame. Il sort pour aller chercher Silvia. Scène XVII La Fée, Silvia La Fée, un moment seule. - Est-il d'aventure plus triste que la mienne? Je n'ai lieu d'aimer plus que je n'aimais, que pour en souffrir davantage; cependant il me reste encore quelque espérance; mais voici ma rivale. Silvia entre. La Fée en colère. Approchez, approchez. Silvia. - Madame, est-ce que vous voulez toujours me retenir de force ici? Si ce beau garçon m'aime, est-ce ma faute? Il dit que je suis belle, dame, je ne puis pas m'empêcher de l'être. La Fée, avec un sentiment de fureur. - Oh! si je ne craignais de tout perdre, je la déchirerais. Haut. Ecoutez-moi, petite fille, mille tourments vous sont préparés, si vous ne m'obéissez. Silvia, en tremblant. - Hélas! vous n'avez qu'à dire. La Fée. - Arlequin va paraÃtre ici je vous ordonne de lui dire que vous n'avez voulu que vous divertir avec lui, que vous ne l'aimez point, et qu'on va vous marier avec un berger du village; je ne paraÃtrai point dans votre conversation, mais je serai à vos côtés sans que vous me voyiez, et si vous n'observez mes ordres avec la dernière rigueur, s'il vous échappe le moindre mot qui lui fasse deviner que je vous aie forcée à lui parler comme je le veux, tout est prêt pour votre supplice. Silvia. - Moi, lui dire que j'ai voulu me moquer de lui? Cela est-il raisonnable? Il se mettra à pleurer, et je me mettrai à pleurer aussi vous savez bien que cela est immanquable. La Fée, en colère. - Vous osez me résister! Paraissez, esprits infernaux, enchaÃnez-la, et n'oubliez rien pour la tourmenter. Des esprit entrent. Silvia, pleurant, dit. - N'avez-vous pas de conscience de me demander une chose impossible? La Fée, aux esprits. - Ce n'est pas tout; allez prendre l'ingrat qu'elle aime, et donnez-lui la mort à ses yeux. Silvia, avec exclamation. - La mort! Ah! Madame la Fée, vous n'avez qu'à le faire venir; je m'en vais lui dire que je le hais, et je vous promets de ne point pleurer du tout; je l'aime trop pour cela. La Fée. - Si vous versez une larme, si vous ne paraissez tranquille, il est perdu, et vous aussi. Aux esprits. Otez-lui ses fers. A Silvia. Quand vous lui aurez parlé, je vous ferai reconduire chez vous, si j'ai lieu d'être contente il va venir, attendez ici. La Fée sort et les diables aussi. Scène XVIII Silvia, Arlequin, Trivelin Silvia, un moment seule. - Achevons vite de pleurer, afin que mon amant ne croie pas que je l'aime, le pauvre enfant, ce serait le tuer moi-même. Ah! maudite fée! Mais essuyons mes yeux, le voilà qui vient. Arlequin entre alors triste et la tête penchée, il ne dit mot jusqu'auprès de Silvia, il se présente à elle, la regarde un moment sans parler; et après, Trivelin invisible entre. Arlequin. - Mon amie! Silvia, d'un air libre. - Eh bien? Arlequin. - Regardez-moi. Silvia, embarrassée. - A quoi sert tout cela? On m'a fait venir ici pour vous parler; j'ai hâte, qu'est-ce que vous voulez? Arlequin, tendrement. - Est-ce vrai que vous m'avez fourbé? Silvia. - Oui, tout ce que j'ai fait, ce n'était que pour me donner du plaisir. Arlequin s'approche d'elle tendrement et lui dit. - Mon amie, dites franchement, cette coquine de fée n'est point ici, car elle en a juré. Et puis en flattant Silvia. Là , là , remettez-vous, mon petit coeur dites, êtes-vous une perfide? Allez-vous être la femme d'un vilain berger? Silvia. - Oui, encore une fois, tout cela est vrai. Arlequin, là -dessus, pleure de toute sa force. - Hi, hi, hi. Silvia, à part. - Le courage me manque. Arlequin, en pleurant sans rien dire, cherche dans ses poches; il en tire un petit couteau qu'il aiguise sur sa manche. Silvia, le voyant faire. - Qu'allez-vous donc faire? Alors Arlequin sans répondre allonge le bras comme pour prendre sa secousse, et ouvre un peu son estomac. Silvia, effrayée. - Ah! il va se tuer; arrêtez-vous, mon amant! j'ai été obligée de vous dire des menteries Et puis en parlant à la Fée qu'elle croit à côté d'elle. Madame la Fée, pardonnez-moi en quelque endroit que vous soyez ici, vous voyez bien ce qui en est. Arlequin, à ces mots cessant son désespoir, lui prend vite la main et dit. - Ah! quel plaisir! soutenez-moi, m'amour, je m'évanouis d'aise. Silvia le soutient. Trivelin, alors, paraÃt tout d'un coup à leurs yeux. Silvia, dans la surprise, dit. - Ah! voilà la Fée. Trivelin. - Non, mes enfants, ce n'est pas la Fée; mais elle m'a donné son anneau, afin que je vous écoutasse sans être vu. Ce serait bien dommage d'abandonner de si tendres amants à sa fureur aussi bien ne mérite-t-elle pas qu'on la serve, puisqu'elle est infidèle au plus généreux magicien du monde, à qui je suis dévoué soyez en repos, je vais vous donner un moyen d'assurer votre bonheur. Il faut qu'Arlequin paraisse mécontent de vous, Silvia; et que de votre côté vous feigniez de le quitter en le raillant. Je vais chercher la Fée qui m'attend, à qui je dirai que vous vous êtes parfaitement acquittée de ce qu'elle vous avait ordonné elle sera témoin de votre retraite. Pour vous, Arlequin, quand Silvia sera sortie, vous resterez avec la Fée, et alors en l'assurant que vous ne songez plus à Silvia infidèle, vous jurerez de vous attacher à elle, et tâcherez par quelque tour d'adresse, et comme en badinant, de lui prendre sa baguette; je vous avertis que dès qu'elle sera dans vos mains, la Fée n'aura plus aucun pouvoir sur vous deux; et qu'en la touchant elle-même d'un coup de la baguette, vous en serez absolument le maÃtre. Pour lors, vous pourrez sortir d'ici et vous faire telle destinée qu'il vous plaira. Silvia. - Je prie le ciel qu'il vous récompense. Arlequin. - Oh! quel honnête homme! Quand j'aurai la baguette, je vous donnerai votre plein chapeau de liards. Trivelin. - Préparez-vous, je vais amener ici la Fée. Scène XIX Arlequin, Silvia Arlequin. - Ma chère amie, la joie me court dans le corps; il faut que je vous baise, nous avons bien le temps de cela. Silvia, en l'arrêtant. - Taisez-vous donc, mon ami, ne nous caressons pas à cette heure, afin de pouvoir nous caresser toujours on vient, dites-moi bien des injures, pour avoir la baguette. La Fée entre. Arlequin, comme en colère. - Allons, petite coquine. Scène XX La Fée, Trivelin, Silvia, Arlequin Trivelin, à la Fée en entrant. - Je crois, Madame, que vous aurez lieu d'être contente. Arlequin, continuant à gronder Silvia. - Sortez d'ici, friponne; voyez cette petite effrontée! sortez d'ici, mort de ma vie! Silvia, se retirant en riant. - Ah! ah! qu'il est drôle! Adieu, adieu, je m'en vais épouser mon amant une autre fois ne croyez pas tout ce qu'on vous dit, petit garçon. Et puis Silvia dit à la Fée Madame, voulez-vous que je m'en aille? La Fée, à Trivelin. - Faites-la sortir, Trivelin. Elle sort avec Trivelin. Scène XXI La Fée, Arlequin La Fée. - Je vous avais dit la vérité, comme vous voyez Arlequin, comme indifférent. - Oh! je me soucie bien de cela c'est une petite laide qui ne vous vaut pas. Allez, allez, à présent je vois bien que vous êtes une bonne personne. Fi! que j'étais sot; laissez faire, nous l'attraperons bien, quand nous serons mari et femme. La Fée. - Quoi! mon cher Arlequin, vous m'aimerez donc? Arlequin. - Eh qui donc? J'avais assurément la vue trouble. Tenez, cela m'avait fâché d'abord, mais à présent je donnerais toutes les bergères des champs pour une mauvaise épingle. Et puis doucement. Mais vous n'avez peut-être plus envie de moi, à cause que j'ai été si bête? La Fée, charmée. - Mon cher Arlequin, je te fais mon maÃtre, mon mari; oui, je t'épouse; je te donne mon coeur, mes richesses, ma puissance. Es-tu content? Arlequin, en la regardant sur cela tendrement. - Ah! ma mie, que vous me plaisez! Et lui prenant la main. Moi, je vous donne ma personne, et puis cela encore. C'est son chapeau. Et puis encore cela. C'est son épée. Là -dessus, en badinant, il lui met son épée au côté, et dit en lui prenant sa baguette Et je m'en vais mettre ce bâton à mon côté. Quand il tient la baguette, La Fée, inquiète, lui dit Donnez, donnez-moi cette baguette, mon fils; vous la casserez. Arlequin, se reculant aux approches de la Fée, tournant autour du théâtre, et d'une façon reposée. - Tout doucement, tout doucement! La Fée, encore plus alarmée. - Donnez donc vite, j'en ai besoin. Arlequin, alors, la touche de la baguette adroitement et lui dit. - Tout beau, asseyez-vous là ; et soyez sage. La Fée tombe sur le siège de gazon mis auprès de la grille du théâtre et dit. - Ah! je suis perdue, je suis trahie. Arlequin, en riant. - Et moi, je suis on ne peut pas mieux. Oh! oh! vous me grondiez tantôt parce que je n'avais pas d'esprit; j'en ai pourtant plus que vous. Arlequin alors fait des sauts de joie; il rit, il danse, il siffle, et de temps en temps va autour de la Fée, et lui montrant la baguette. Soyez bien sage, madame la sorcière, car voyez bien cela! Alors il appelle tout le monde. Allons, qu'on m'apporte ici mon petit coeur. Trivelin où sont mes valets et tous les diables aussi? Vite, j'ordonne, je commande, ou par la sambleu... Tout accourt à sa voix. Scène dernière Silvia conduite par Trivelin, les Danseurs, Les Chanteurs et Les Esprits Arlequin, courant au-devant de Silvia, et lui montrant la baguette. - Ma chère amie, voilà la machine; je suis sorcier à cette heure; tenez, prenez, prenez; il faut que vous soyez sorcière aussi. Il lui donne la baguette. Silvia prend la baguette en sautant d'aise et dit. - Oh! mon amant, nous n'aurons plus d'envieux. A peine Silvia a-t-elle dit ces mots, que quelques esprits s'avancent, et l'un d'eux dit Vous êtes notre maÃtresse, que voulez-vous de nous? Silvia, surprise de leur approche, se retire et a peur, et dit. - Voilà encore ces vilains hommes qui me font peur. Arlequin, fâché. - Jarni, je vous apprendrai à vivre. A Silvia. Donnez-moi ce bâton, afin que je les rosse. Il prend la baguette, et ensuite bat les esprits avec son épée; il bat après les danseurs, les chanteurs, et jusqu'à Trivelin même. Silvia, lui dit, en l'arrêtant. - En voilà assez, mon ami. Arlequin menace toujours tout le monde, et va à la Fée qui est sur le banc, et la menace aussi. Silvia, alors, s'approche à son tour de la Fée et lui dit en la saluant. - Bonjour, Madame, comment vous portez-vous? Vous n'êtes donc plus si méchante? La Fée retourne la tête en jetant des regards de fureur sur eux. Silvia. - Oh! qu'elle est en colère. Arlequin, alors à la Fée. - Tout doux, je suis le maÃtre; allons, qu'on nous regarde tout à l'heure agréablement. Silvia. - Laissons-la, mon ami, soyons généreux la compassion est une belle chose. Arlequin. - Je lui pardonne, mais je veux qu'on chante, qu'on danse, et puis après nous irons nous faire roi quelque part. Annibal Acteurs Comédie en trois actes et en prose Représentée pour la première fois par les comédiens italiens le 3 mars 1720 Acteurs Laodice, fille de Prusias. Flaminius, ambassadeur romain. Hiéron, confident de Prusias. Amilcar, confident d'Annibal. Flavius, confident de Flaminius. Egine, confidente de Laodice. La scène est dans le palais de Prusias. Acte premier Scène première Laodice, Egine Egine Je ne puis plus longtemps vous taire mes alarmes, Madame; de vos yeux j'ai vu couler des larmes. Quel important sujet a pu donc aujourd'hui Verser dans votre coeur la tristesse et l'ennui? Laodice Sais-tu quel est celui que Rome nous envoie? Egine Laodice Pourquoi faut-il que je le voie? Sans lui j'allais, sans trouble, épouser Annibal. O Rome! que ton choix à mon coeur est fatal! Ecoute, je veux bien t'apprendre, chère Egine, Des pleurs que je versais la secrète origine Trois ans se sont passés, depuis qu'en ces Etats Le même ambassadeur vint trouver Prusias. Je n'avais jamais vu de Romain chez mon père; Je pensais que d'un roi l'auguste caractère L'élevait au-dessus du reste des humains Mais je vis qu'il fallait excepter les Romains. Je vis du moins mon père, orné du diadème, Honorer ce Romain, le respecter lui-même; Et, s'il te faut ici dire la vérité, Ce Romain n'en parut ni surpris, ni flatté. Cependant ces respects et cette déférence Blessèrent en secret l'orgueil de ma naissance. J'eus peine à voir un roi qui me donna le jour, Dépouillé de ses droits, courtisan dans sa cour, Et d'un front couronné perdant toute l'audace, Devant Flaminius n'oser prendre sa place. J'en rougis, et jetai sur ce hardi Romain Des regards qui marquaient un généreux dédain. Mais du destin sans doute un injuste caprice Veut devant les Romains que tout orgueil fléchisse Mes dédaigneux regards rencontrèrent les siens, Et les siens, sans effort, confondirent les miens. Jusques au fond du coeur je me sentis émue; Je ne pouvais ni fuir, ni soutenir sa vue. Je perdis sans regret un impuissant courroux; Mon propre abaissement, Egine, me fut doux. J'oubliai ces respects qui m'avaient offensée; Mon père même alors sortit de ma pensée Je m'oubliai moi-même, et ne m'occupai plus Qu'à voir et n'oser voir le seul Flaminius. Egine, ce récit, que j'ai honte de faire, De tous mes mouvements t'explique le mystère. Egine De ce Romain si fier, qui fut votre vainqueur. Sans doute, à votre tour, vous surprÃtes le coeur. Laodice J'ignore jusqu'ici si je touchai son âme J'examinai pourtant s'il partageait ma flamme; J'observai si ses yeux ne m'en apprendraient rien Mais je le voulais trop pour m'en instruire bien. Je le crus cependant, et si sur l'apparence Il est permis de prendre un peu de confiance, Egine, il me sembla que, pendant son séjour, Dans son silence même éclatait son amour. Mille indices pressants me le faisaient comprendre Quand je te les dirais, tu ne pourrais m'entendre; Moi-même, que l'amour sut peut-être tromper, Je les sens, et ne puis te les développer. Flaminius partit, Egine, et je veux croire Qu'il ignora toujours ma honte et sa victoire. Hélas! pour revenir à ma tranquillité, Que de maux à mon coeur n'en a-t-il pas coûté! J'appelai vainement la raison à mon aide Elle irrite l'amour, loin d'y porter remède. Quand sur ma folle ardeur elle m'ouvrait les yeux, En rougissant d'aimer, je n'en aimais que mieux. Je ne me servis plus d'un secours inutile; J'attendis que le temps vÃnt me rendre tranquille Je le devins, Egine, et j'ai cru l'être enfin, Quand j'ai su le retour de ce même Romain. Que ferai-je, dis-moi, si ce retour funeste D'un malheureux amour trouve en moi quelque reste? Quoi! j'aimerais encore! Ah! puisque je le crains, Pourrais-je me flatter que mes feux sont éteints? D'où naÃtraient dans mon coeur de si promptes alarmes? Et si je n'aime plus, pourquoi verser des larmes? Cependant, chère Egine, Annibal a ma foi, Et je suis destinée à vivre sous sa loi. Sans amour, il est vrai, j'allais être asservie; Mais j'allais partager la gloire de sa vie. Mon âme, que flattait un partage si grand, Se disait qu'un héros valait bien un amant. Hélas! si dans ce jour mon amour se ranime, Je deviendrai bien moins épouse que victime. N'importe, quelque sort qui m'attende aujourd'hui, J'achèverai l'hymen qui doit m'unir à lui, Et dût mon coeur brûler d'une ardeur éternelle, Egine, il a ma foi; je lui serai fidèle. Egine Madame, le voici. Scène II Laodice, Annibal, Egine, Amilcar Annibal Puis-je, sans me flatter, Espérer qu'un moment vous voudrez m'écouter? Je ne viens point, trop fier de l'espoir qui m'engage, De mes tristes soupirs vous présenter l'hommage C'est un secret qu'il faut renfermer dans son coeur, Quand on n'a plus de grâce à vanter son ardeur. Un soin qui me sied mieux, mais moins cher à mon âme, M'invite en ce moment à vous parler, Madame. On attend dans ces lieux un agent des Romains, Et le roi votre père ignore ses desseins; Mais je crois les savoir. Rome me persécute. Par moi, Rome autrefois se vit près de sa chute; Ce qu'elle en ressentit et de trouble et d'effroi Dure encore, et lui tient les yeux ouverts sur moi. Son pouvoir est peu sûr tant qu'il respire un homme Qui peut apprendre aux rois à marcher jusqu'à Rome. A peine ils m'ont reçu, que sa juste frayeur M'en écarte aussitôt par un ambassadeur; Je puis porter trop loin le succès de leurs armes, Voilà ce qui nourrit ses prudentes alarmes Et de l'ambassadeur, peut-être, tout l'emploi Est de n'oublier rien pour m'éloigner du roi. Il va même essayer l'impérieux langage Dont à ses envoyés Rome prescrit l'usage; Et ce piège grossier, que tend sa vanité, Souvent de plus d'un roi surprit la fermeté. Quoi qu'il en soit, enfin, trop aimable Princesse, Vous possédez du roi l'estime et la tendresse Et moi, qui vous connais, je puis avec honneur En demander ici l'usage en ma faveur. Se soustraire au bienfait d'une âme vertueuse, C'est soi-même souvent l'avoir peu généreuse. Annibal, destiné pour être votre époux, N'aura point à rougir d'avoir compté sur vous Et votre coeur, enfin, est assez grand pour croire Qu'il est de son devoir d'avoir soin de ma gloire. Laodice Oui, je la soutiendrai; n'en doutez point, Seigneur, L'espoir que vous formez rend justice à mon coeur. L'inviolable foi que je vous ai donnée M'associe aux hasards de votre destinée. Mais aujourd'hui, Seigneur, je n'en ferais pas moins, Quand vous n'auriez point droit de demander mes soins. Croyez à votre tour que j'ai l'âme trop fière Pour qu'Annibal en vain m'eût fait une prière. Mais, Seigneur, Prusias, dont vous vous défiez, Sera plus vertueux que vous ne le croyez Et puisque avec ma foi vous reçûtes la sienne, Vos intérêts n'ont pas besoin qu'on les soutienne. Annibal Non, je m'occupe ici de plus nobles projets, Et ne vous parle point de mes seuls intérêts. Mon nom m'honore assez, Madame, et j'ose dire Qu'au plus avide orgueil ma gloire peut suffire. Tout vaincu que je suis, je suis craint du vainqueur Le triomphe n'est pas plus beau que mon malheur. Quand je serais réduit au plus obscur asile, J'y serais respectable, et j'y vivrais tranquille, Si d'un roi généreux les soins et l'amitié, Le noeud dont avec vous je dois être lié, N'avaient rempli mon coeur de la douce espérance Que ce bras fera foi de ma reconnaissance; Et que l'heureux époux dont vous avez fait choix, Sur de nouveaux sujets établissant vos lois, Justifiera l'honneur que me fait Laodice, En souffrant que ma main à la sienne s'unisse. Oui, je voudrais encor par des faits éclatants Réparer entre nous la distance des ans, Et de tant de lauriers orner cette vieillesse, Qu'elle effaçât l'éclat que donne la jeunesse. Mais mon courage en vain médite ces desseins, Madame, si le roi ne résiste aux Romains Je ne vous dirai point que le Sénat, peut-être, Deviendra par degrés son tyran et son maÃtre; Et que, si votre père obéit aujourd'hui, Ce maÃtre ordonnera de vous comme de lui; Qu'on verra quelque jour sa politique injuste Disposer de la main d'une princesse auguste, L'accorder quelquefois, la refuser après, Au gré de son caprice ou de ses intérêts, Et d'un lâche allié trop payer le service, En lui livrant enfin la main de Laodice. Laodice Seigneur, quand Annibal arriva dans ces lieux, Mon père le reçut comme un présent, des dieux, Et sans doute il connut quel était l'avantage De pouvoir acquérir des droits sur son courage, De se l'approprier en se liant à vous, En vous donnant enfin le nom de mon époux. Sans la guerre, il aurait conclu notre hyménée; Mais il n'est pas moins sûr, et j'y suis destinée. Qu'Annibal juge donc, sur les desseins du roi, Si jamais les Romains disposeront de moi; Si jamais leur Sénat peut à présent s'attendre Que de son fier pouvoir le roi veuille dépendre. Mais je vous laisse. Il vient. Vous pourrez avec lui Juger si vous aurez besoin de mon appui. Scène III Prusias, Annibal, Amilcar Prusias Enfin, Flaminius va bientôt nous instruire Des motifs importants qui peuvent le conduire. Avant la fin du jour, Seigneur, nous l'allons voir, Et déjà je m'apprête à l'aller recevoir. Annibal Qu'entends-je? vous, Seigneur! Prusias D'où vient cette surprise? Je lui fais un honneur que l'usage autorise J'imite mes pareils. Annibal Et n'êtes-vous pas roi? Prusias Seigneur, ceux dont je parle ont même rang que moi. Annibal Eh quoi! pour vos pareils voulez-vous reconnaÃtre Des hommes, par abus appelés rois sans l'être; Des esclaves de Rome, et dont la dignité Est l'ouvrage insolent de son autorité; Qui, du trône héritiers, n'osent y prendre place, Si Rome auparavant n'en a permis l'audace; Qui, sur ce trône assis, et le sceptre à la main, S'abaissent à l'aspect d'un citoyen romain; Des rois qui, soupçonnés de désobéissance, Prouvent à force d'or leur honteuse innocence, Et que d'un fier Sénat l'ordre souvent fatal Expose en criminels devant son tribunal; Méprisés des Romains autant que méprisables? Voilà ceux qu'un monarque appelle ses semblables! Ces rois dont le Sénat, sans armer de soldats, A de vils concurrents adjuge les Etats; Ces clients, en un mot, qu'il punit et protège, Peuvent de ses agents augmenter le cortège. Mais vous, examinez, en voyant ce qu'ils sont, Si vous devez encor imiter ce qu'ils font. Prusias Si ceux dont nous parlons vivent dans l'infamie, S'ils livrent aux Romains et leur sceptre et leur vie, Ce lâche oubli du rang qu'ils ont reçu des dieux, Autant qu'à vous, Seigneur, me paraÃt odieux Mais donner au Sénat quelque marque d'estime, Rendre à ses envoyés un honneur légitime, Je l'avouerai, Seigneur, j'aurais peine à penser Qu'à de honteux égards ce fût se rabaisser; Je crois pouvoir enfin les imiter moi-même, Et n'en garder pas moins les droits du rang suprême. Annibal Quoi! Seigneur, votre rang n'est pas sacrifié, En courant au-devant des pas d'un envoyé! C'est montrer votre estime, en produire des marques Que vous ne croyez pas indignes des monarques! L'ai-je bien entendu? De quel oeil, dites-moi, Voyez-vous le Sénat? et qu'est-ce donc qu'un roi? Quel discours! juste ciel! de quelle fantaisie L'âme aujourd'hui des rois est-elle donc saisie? Et quel est donc enfin le charme ou le poison Dont Rome semble avoir altéré leur raison? Cet orgueil, que leur coeur respire sur le trône, Au seul nom de Romain, fuit et les abandonne; Et d'un commun accord, ces maÃtres des humains, Sans s'en apercevoir, respectent les Romains! O rois! et ce respect, vous l'appelez estime! Je ne m'étonne plus si Rome vous opprime. Seigneur, connaissez-vous; rompez l'enchantement Qui vous fait un devoir de votre abaissement. Vous régnez, et ce n'est qu'un agent qui s'avance. Au trône, votre place, attendez sa présence. Sans vous embarrasser s'il est Scythe ou Romain, Laissez-le jusqu'à vous poursuivre son chemin. De quel droit le Sénat pourrait-il donc prétendre Des respects qu'à vous-même il ne voudrait pas rendre? Mais que vous dis-je? à Rome, à peine un sénateur Daignerait d'un regard vous accorder l'honneur, Et vous apercevant dans une foule obscure, Vous ferait un accueil plus choquant qu'une injure. De combien cependant êtes-vous au-dessus De chaque sénateur!... Prusias Seigneur, n'en parlons plus. J'avais cru faire un pas d'une moindre importance Mais pendant qu'en ces lieux l'ambassadeur s'avance, Souffrez que je vous quitte, et qu'au moins aujourd'hui Des soins moins éclatants m'excusent envers lui. Scène IV Annibal, Amilcar Amilcar Seigneur, nous sommes seuls oserais-je vous dire Ce que le ciel peut-être en ce moment m'inspire? Je connais peu le roi; mais sa timidité Semble vous présager quelque infidélité. Non qu'à présent son coeur manque pour vous de zèle; Sans doute il a dessein de vous être fidèle Mais un prince à qui Rome imprime du respect, De peu de fermeté doit vous être suspect. Ces timides égards vous annoncent un homme Assez faible, Seigneur, pour vous livrer à Rome. Qui sait si l'envoyé qu'on attend aujourd'hui Ne vient pas, de sa part, vous demander à lui? Pendant que de ces lieux la retraite est facile, M'en croirez-vous? fuyez un dangereux asile; Et sans attendre ici... Annibal Nomme-moi des Etats Plus sûrs pour Annibal que ceux de Prusias. Enseigne-moi des rois qui ne soient point timides; Je les ai trouvés tous ou lâches ou perfides. Amilcar Il en serait peut-être encor de généreux Mais une autre raison fait vos dégoûts pour eux Et si vous n'espériez d'épouser Laodice, Peut-être à quelqu'un d'eux rendriez-vous justice. Vous voudrez bien, Seigneur, excuser un discours Que me dicte mon zèle et le soin de vos jours. Annibal Crois-tu que l'intérêt d'une amoureuse, flamme Dans cet égarement pût entraÃner mon âme? Penses-tu que ce soit seulement de ce jour Que mon coeur ait appris à surmonter l'amour? De ses emportements j'ai sauvé ma jeunesse; J'en pourrai bien encor défendre ma vieillesse. Nous tenterions en vain d'empêcher que nos coeurs D'un amour imprévu ne sentent les douceurs. Ce sont là des hasards à qui l'âme est soumise, Et dont on peut sans honte éprouver la surprise Mais, quel qu'en soit l'attrait, ces douceurs ne sont rien, Et ne font de progrès qu'autant qu'on le veut bien. Ce feu, dont on nous dit la violence extrême, Ne brûle que le coeur qui l'allume lui-même. Laodice est aimable, et je ne pense pas Qu'avec indifférence on pût voir ses appas. L'hymen doit me donner une épouse si belle; Mais la gloire, Amilcar, est plus aimable qu'elle Et jamais Annibal ne pourra s'égarer Jusqu'au trouble honteux d'oser les comparer. Mais je suis las d'aller mendier un asile, D'affliger mon orgueil d'un opprobre stérile. Où conduire mes pas? Va, crois-moi, mon destin Doit changer dans ces lieux ou doit y prendre fin. Prusias ne peut plus m'abandonner sans crime Il est faible, il est vrai; mais il veut qu'on l'estime. Je feins qu'il le mérite; et malgré sa frayeur, Sa vanité du moins lui tiendra lieu d'honneur. S'il en croit les Romains, si le Ciel veut qu'il cède, Des crimes de son coeur le mien sait le remède. Soit tranquille, Amilcar, et ne crains rien pour moi. Mais sortons. Hâtons-nous de rejoindre le roi; Ne l'abandonnons point; il faut même sans cesse, Par de nouveaux efforts, combattre sa faiblesse, L'irriter contre Rome; et mon unique soin Est de me rendre ici son assidu témoin. Acte II Scène première Flavius, Flaminius Flavius Le roi ne paraÃt point, et j'ai peine à comprendre, Seigneur, comment ce prince ose se faire attendre. Et depuis quand les rois font-ils si peu d'état Des ministres chargés des ordres du Sénat? Malgré la dignité dont Rome vous honore, Prusias à vos yeux ne s'offre point encore? Flaminius N'accuse point le roi de ce superbe accueil; Un roi n'en peut avoir imaginé l'orgueil. J'y reconnais l'audace et les conseils d'un homme Ennemi déclaré des respects dus à Rome. Le roi de son devoir ne serait point sorti; C'est du seul Annibal que ce trait est parti. Prusias, sur la foi des leçons qu'on lui donne, Ne croit plus le respect d'usage sur le trône. Annibal, de son rang exagérant l'honneur, Sème avec la fierté la révolte en son coeur. Quel que soit le succès qu'Annibal en attende, Les rois résistent peu quand le Sénat commande. Déjà ce fugitif a dû s'apercevoir. Combien ses volontés ont sur eux de pouvoir. Flavius Seigneur, à ce discours souffrez que je comprenne. Que vous ne venez pas pour le seul Artamène, Et que la guerre enfin que lui fait Prusias Est le moindre intérêt qui guide ici vos pas. En vous suivant, j'en ai soupçonné le mystère; Mais, Seigneur, jusqu'ici j'ai cru devoir me taire. Flaminius Déjà mon amitié te l'eût développé, Sans les soins inquiets dont je suis occupé. Je t'apprends donc qu'à Rome Annibal doit me suivre, Et qu'en mes mains il faut que Prusias le livre. Voilà quel est ici mon véritable emploi, Sans d'autres intérêts qui ne touchent que moi. Flavius Quoi! vous? Flaminius Nous sommes seuls, nous pouvons ne rien feindre. Annibal n'a que trop montré qu'il est à craindre. Il fuit, il est vaincu, mais vaincu par des coups Que nous devons encor plus au hasard qu'à nous. Et s'il n'eût, autrefois, ralenti son courage, Rome était en danger d'obéir à Carthage. Quoique vaincu, les rois dont il cherche l'appui Pourraient bien essayer de se servir de lui; Et sur ce qu'il a fait fondant leur espérance Avec moins de frayeur tenter l'indépendance Et Rome à les punir aurait un embarras Qu'il serait imprudent de ne s'épargner pas. Nos aigles, en un mot, trop fréquemment défaites Par ce même ennemi qui trouve des retraites, Qui n'a jamais craint Rome, et qui même la voit Seulement ce qu'elle est et non ce qu'on la croit; Son audace, son nom et sa haine implacable, Tout, jusqu'à sa défaite, est en lui formidable, Et depuis quelque temps un bruit court parmi nous Qu'il va de Laodice être bientôt l'époux. Ce coup est important Rome en est alarmée. Pour le rompre elle a fait avancer son armée; Elle exige Annibal, et malgré le mépris Que pour les rois tu sais que le Sénat a pris, Son orgueil inquiet en fait un sacrifice, Et livre à mon espoir la main de Laodice. Le roi, flatté par là , peut en oublier mieux La valeur d'un dépôt trop suspect en ces lieux. Pour effacer l'affront d'un pareil hyménée, Si contraire à la loi que Rome s'est donnée, Et je te l'avouerai, d'un hymen dont mon coeur N'aurait peut-être pu sentir le déshonneur, Cette Rome facile accorde à la princesse Le titre qui pouvait excuser ma tendresse, La fait Romaine enfin. Cependant ne crois pas Qu'en faveur de mes feux j'épargne Prusias. Rome emprunte ma voix, et m'ordonne elle-même D'user ici pour lui d'une rigueur extrême. Il le faut en effet. Flavius Mais depuis quand, Seigneur, Brûlez-vous en secret d'une si tendre ardeur? L'aimable Laodice a-t-elle fait connaÃtre Qu'elle-même à son tour... Flaminius Prusias va paraÃtre; Cessons; mais souviens-toi que l'on doit ignorer Ce que ma confiance ose te déclarer. Scène II Prusias, Annibal, Flaminius, Flavius, suite du roi. Flaminius Rome, qui vous observe, et de qui la clémence Vous a fait jusqu'ici grâce de sa vengeance, A commandé, Seigneur, que je vinsse vers vous Vous dire le danger où vous met son courroux. Vos armes chaque jour, et sur mer et sur terre, Entre Artamène et vous renouvellent la guerre. Rome la désapprouve, et déjà le Sénat Vous en avait, Seigneur, averti sans éclat. Un Romain, de sa part, a dû vous faire entendre Quel parti là -dessus vous feriez bien de prendre; Qu'il souhaitait enfin qu'on eût, en pareil cas, Recours à sa justice, et non à des combats. Cet auguste Sénat, qui peut parler en maÃtre, Mais qui donne à regret des preuves qu'il peut l'être, Crut que, vous épargnant des ordres rigoureux, Vous n'attendriez pas qu'il vous dÃt je le veux. Il le dit aujourd'hui; c'est moi qui vous l'annonce. Vous allez vous juger en me faisant réponse. Ainsi, quand le pardon vous est encore offert, N'oubliez pas qu'un mot vous absout ou vous perd. Pour écarter de vous tout dessein téméraire, Empruntez le secours d'un effroi salutaire Voyez en quel état Rome a mis tous ces rois Qui d'un coupable orgueil ont écouté la voix. Présentez à vos yeux cette foule de princes, Dont les uns vagabonds, chassés de leurs provinces, Les autres gémissants; abandonnés aux fers, De son devoir, Seigneur, instruisent l'univers. Voilà , pour imposer silence à votre audace, Le spectacle qu'il faut que votre esprit se fasse. Vous vaincrez Artamène, et vos heureux destins Vont mettre, je le veux, son sceptre dans vos mains. Mais quand vous le tiendrez, ce sceptre qui vous tente, Qu'en ferez-vous, Seigneur, si Rome est mécontente? Que ferez-vous du vôtre, et qui vous sauvera Des traits vengeurs dont Rome alors vous poursuivra? Restez en paix, régnez, gardez votre couronne Le Sénat vous la laisse, ou plutôt vous la donne. Obtenez sa faveur, faites ce qu'il lui plaÃt; Je ne vous connais point de plus grand intérêt. Consultez nos amis ce qu'ils ont de puissance N'est que le prix heureux de leur obéissance. Quoi qu'il en soit, enfin, que votre ambition Respecte un roi qui vit sous sa protection. Prusias Seigneur, quand le Sénat s'abstiendrait d'un langage Qui fait à tous les rois un si sensible outrage; Que, sans me conseiller le secours de l'effroi, Il dirait simplement ce qu'il attend de moi; Quand le Sénat, enfin, honorerait lui-même Ce front, qu'avec éclat distingue un diadème, Croyez-moi, le Sénat et son ambassadeur N'en parleraient tous deux qu'avec plus de grandeur. Vous ne m'étonnez point, Seigneur, et la menace Fait rarement trembler ceux qui sont à ma place. Un roi, sans s'alarmer d'un procédé si haut, Refuse s'il le peut, accorde s'il le faut. C'est de ses actions la raison qui décide, Et l'outrage jamais ne le rend plus timide. Artamène avec moi, Seigneur, fit un traité Qui de sa part encore n'est pas exécuté Et quand je l'en pressais, j'appris que son armée Pour venir me surprendre était déjà formée. Son perfide dessein alors m'étant connu, J'ai rassemblé la mienne, et je l'ai prévenu. Le Sénat pourrait-il approuver l'injustice, Et d'une lâcheté veut-il être complice? Son pouvoir n'est-il pas guidé par la raison? Vos alliés ont-ils le droit de trahison? Et lorsque je suis prêt d'en être la victime, M'en défendre, Seigneur, est-ce commettre un crime? Flaminius Pourquoi nous déguiser ce que vous avez fait? A ce traité vous-même avez-vous satisfait? Et pourquoi d'Artamène accuser la conduite, Seigneur, si de la vôtre elle n'est que la suite? Vous aviez fait la paix pourquoi dans vos Etats Avez-vous conservé, même accru vos soldats? Prétendiez-vous, malgré cette paix solennelle, Lui laisser soupçonner qu'elle était infidèle, Et l'engager à prendre une précaution Qui servÃt de prétexte à votre ambition? Mais le Sénat a vu votre coupable ruse, Et ne recevra point une frivole excuse. Quels que soient vos motifs, je ne viens en ces lieux Que pour vous avertir qu'ils lui sont odieux. Songez-y; mais surtout tâchez de vous défendre Du poison des conseils dont on veut vous surprendre. Annibal S'il écoute les miens, ou s'il prend les meilleurs, Rome ira proposer son esclavage ailleurs. Prusias indigné poursuivra la conquête Qu'à lui livrer bientôt la victoire s'apprête. Ces conseils ne sont pas plus dangereux pour lui Que pour ce fier Sénat qui l'insulte aujourd'hui. Si le roi contre lui veut en faire l'épreuve, Moi, qui vous parle, moi, je m'engage à la preuve. Flaminius Le projet est hardi. Cependant votre état Promet déjà beaucoup en faveur du Sénat; Et votre orgueil, réduit à chercher un asile, Fournit à Prusias un espoir bien fragile. Annibal Non, non, Flaminius, vous vous entendez mal A vanter le Sénat aux dépens d'Annibal. Cet état où je suis rappelle une matière Dont votre Rome aurait à rougir la première. Ne vous souvient-il plus du temps où dans mes mains La victoire avait mis le destin des Romains? Retracez-vous ce temps où par moi l'Italie D'épouvante, d'horreur et de sang fut remplie. Laissons de vains discours, dont le faste menteur De ma chute aux Romains semble donner l'honneur. Dites, Flaminius, quelle fut leur ressource? Parlez, quelqu'un de vous arrêta-t-il ma course? Sans l'imprudent repos que mon bras s'est permis, Romains, vous n'auriez plus d'amis ni d'ennemis. De ce peuple insolent, qui veut qu'on obéisse, Le fer et l'esclavage allaient faire justice; Et les rois, que soumet sa superbe amitié, En verraient à présent le reste avec pitié. O Rome! tes destins ont pris une autre face. Ma lenteur, ou plutôt mon mépris te fit grâce Négligeant des progrès qui me semblaient trop sûrs, Je laissai respirer ton peuple dans tes murs. Il échappa depuis, et ma seule imprudence Des Romains abattus releva l'espérance. Mais ces fiers citoyens, que je n'accablai pas, Ne sont point assez vains pour mépriser mon bras; Et si Flaminius voulait parler sans feindre, Il dirait qu'on m'honore encor jusqu'à me craindre. En effet, si le roi profite du séjour Que les dieux ont permis que je fisse en sa cour, S'il ose pour lui-même employer mon courage, Je n'en demande pas à ces dieux davantage. Le Sénat, qui d'un autre est aujourd'hui l'appui, Pourra voir arriver le danger jusqu'à lui. Je sais me corriger; il sera difficile De me réduire alors à chercher un asile. Flaminius Ce qu'Annibal appelle imprudence et lenteur, S'appellerait effroi, s'il nous ouvrait son coeur. Du moins, cette lenteur et cette négligence Eurent avec l'effroi beaucoup de ressemblance; Et l'aspect de nos murs si remplis de héros Put bien vous conseiller le parti du repos. Vous vous corrigerez? Et pourquoi dans l'Afrique N'avez-vous donc pas mis tout votre art en pratique? Serait-ce qu'il manquait à votre instruction La honte d'être encor vaincu par Scipion? Rome, il est vrai, vous vit gagner quelque victoire, Et vous avez raison quand vous en faites gloire. Mais ce sont vos exploits qui doivent effrayer Tous les rois dont l'audace osera s'y fier. Rome, vous le savez, en cent lieux de la terre Avait à soutenir le fardeau de la guerre. L'univers attentif crut la voir en danger, Douta que ses efforts pussent l'en dégager. L'univers se trompait. Le ciel, pour le convaincre Qu'on ne devait jamais espérer de la vaincre, Voulut jusqu'à ses murs vous ouvrir un chemin, Pour qu'on la crût encor plus proche de sa fin, Et que la terre après, détrompée et surprise, ApprÃt à l'avenir à nous être soumise. Annibal A tant de vains discours, je vois votre embarras; Et si vous m'en croyez, vous ne poursuivrez pas. Rome allait succomber son vainqueur la néglige; Elle en a profité; voilà tout le prodige. Tout le reste est chimère ou pure vanité, Qui déshonore Rome et toute sa fierté. Flaminius Rome de vos mépris aurait tort de se plaindre Tout est indifférent de qui n'est plus à craindre. Annibal Arrêtez, et cessez d'insulter au malheur D'un homme qu'autrefois Rome a vu son vainqueur; Et quoique sa fortune ait surmonté la mienne, Les grands coups qu'Annibal a portés à la sienne Doivent du moins apprendre aux Romains généreux Qu'il a bien mérité d'être respecté d'eux. Je sors; je ne pourrais m'empêcher de répondre A des discours qu'il est trop aisé de confondre. Scène III Prusias, Flaminius, Hiéron Flaminius Seigneur, il me paraÃt qu'il n'était pas besoin Que de notre entretien Annibal fût témoin, Et vous pouviez, sans lui, faire votre réponse Aux ordres que par moi le Sénat vous annonce. J'en ai qui de si près touchent cet ennemi, Que je n'ai pu, Seigneur, m'expliquer qu'à demi. Prusias Lui! vous me surprenez, Seigneur de quelle crainte Rome, qui vous envoie, est-elle donc atteinte? Flaminius Rome ne le craint point, Seigneur; mais sa pitié Travaille à vous sauver de son inimitié. Rome ne le craint point, vous dis-je; mais l'audace Ne lui plaÃt point dans ceux qui tiennent votre place. Elle veut que les rois soient soumis au devoir Que leur a dès longtemps imposé son pouvoir. Ce devoir est, Seigneur, de n'oser entreprendre Ce qu'ils n'ignorent pas qu'elle pourrait défendre; De n'oublier jamais que ses intentions Doivent à la rigueur régler leurs actions; Et de se regarder comme dépositaires D'un pouvoir qu'ils n'ont plus dès qu'ils sont téméraires. Voilà votre devoir, et vous l'observez mal, Quand vous osez chez vous recevoir Annibal. Rome, qui tient ici ce sévère langage, N'a point dessein, Seigneur, de vous faire un outrage; Et si les fiers avis offensent votre coeur, Vous pouvez lui répondre avec plus de hauteur. Cette Rome s'explique en maÃtresse du monde. Si sur un titre égal votre audace se fonde, Si vous êtes enfin à l'abri de ses coups, Vous pouvez lui parler comme elle parle à vous. Mais s'il est vrai, Seigneur, que vous dépendiez d'elle, Si, lorsqu'elle voudra, votre trône chancelle, Et pour dire encor plus, si ce que Rome veut, Cette Rome absolue en même temps le peut, Que son droit soit injuste ou qu'il soit équitable, Qu'importe? c'est aux dieux que Rome en est comptable. Le faible, s'il était le juge du plus fort, Aurait toujours raison, et l'autre toujours tort. Annibal est chez vous, Rome en est courroucée Pouvez-vous là -dessus ignorer sa pensée? Est-ce donc imprudence, ou n'avez-vous point su Ce qu'elle envoya dire aux rois qui l'ont reçu? Prusias Seigneur, de vos discours l'excessive licence Semble vouloir ici tenter ma patience. Je sens des mouvements qui vous sont des conseils De ne jamais chez eux mépriser mes pareils. Les rois, dans le haut rang où le ciel les fait naÃtre, Ont souvent des vainqueurs et n'ont jamais de maÃtre; Et sans en appeler à l'équité des dieux, Leur courroux peut juger de vos droits odieux. J'honore le Sénat; mais, malgré sa menace, Je me dispenserai d'excuser mon audace. Je crois pouvoir enfin recevoir qui me plaÃt, Et pouvoir ignorer quel est votre intérêt. J'avouerai cependant, puisque Rome est puissante, Qu'il est avantageux de la rendre contente. Expliquez-vous, Seigneur, et voyons si je puis Faire ce qu'elle exige, étant ce que je suis. Mais retranchez ces mots d'ordre, de dépendance, Qui ne m'invitent pas à plus d'obéissance. Flaminius Eh bien! daignez souffrir un avis important Je demande Annibal, et le Sénat l'attend. Prusias Annibal? Flaminius Oui, ma charge est de vous en instruire; Mais, Seigneur, écoutez ce qui me reste à dire. Rome pour Laodice a fait choix d'un époux, Et c'est un choix, Seigneur, avantageux pour vous. Prusias Lui nommer un époux! Je puis l'avoir promise. Flaminius En ce cas, du Sénat avouez l'entremise. Après un tel aveu, je pense qu'aucun roi Ne vous reprochera d'avoir manqué de foi. Mais agréez, Seigneur, que l'aimable princesse Sache par moi que Rome à son sort s'intéresse, Que sur ce même choix interrogeant son coeur, Moi-même... Prusias Vous pouvez l'en avertir, Seigneur, J'admire ici les soins que Rome prend pour elle, Et de son amitié l'entreprise est nouvelle; Ma fille en peut résoudre, et je vais consulter Ce que pour Annibal je dois exécuter. Scène IV Prusias, Hiéron Hiéron Rome de vos desseins est sans doute informée? Prusias Et tu peux ajouter qu'elle en est alarmée. Hiéron Observez donc aussi, Seigneur, que son courroux En est en même temps plus terrible pour vous. Prusias Mais as-tu bien conçu quelle est la perfidie Dont cette Rome veut que je souille ma vie? Ce guerrier, qu'il faudrait lui livrer en ce jour, Ne souhaitait de moi qu'un asile en ma cour. Ces serments que j'ai faits de lui donner ma fille, De rendre sa valeur l'appui de ma famille, De confondre à jamais son sort avec le mien, Je suis l'auteur de tout, il ne demandait rien. Ce héros, qui se fie à ces marques d'estime, S'attend-il que mon coeur achève par un crime? Le Sénat qui travaille à séduire ce coeur, En profitant du coup, il en aurait horreur. Hiéron Non de trop de vertu votre esprit le soupçonne, Et ce n'est pas ainsi que ce Sénat raisonne. Ne vous y trompez pas sa superbe fierté Vous presse d'un devoir, non d'une lâcheté. Vous vous croiriez perfide; il vous croirait fidèle, Puisque lui résister c'est se montrer rebelle. D'ailleurs, cette action dont vous avez horreur, Le péril du refus en ôte la noirceur. Pensez-vous, en effet, que vous devez en croire Les dangereux conseils d'une fatale gloire? Et ces princes, Seigneur, sont-ils donc généreux, Qui le sont en risquant tout un peuple avec eux? Qui, sacrifiant tout à l'affreuse faiblesse D'accomplir sans égard une injuste promesse, Egorgent par scrupule un monde de sujets, Et ne gardent leur foi qu'à force de forfaits? Prusias Ah! lorsqu'à ce héros j'ai promis Laodice, J'ai cru qu'à mes sujets c'était rendre un service. Tu sais que souvent Rome a contraint nos Etats De servir ses desseins, de fournir des soldats J'ai donc cru qu'en donnant retraite à ce grand homme, Sa valeur gênerait l'insolence de Rome; Que ce guerrier chez moi pourrait l'épouvanter, Que ce qu'elle en connaÃt m'en ferait respecter; Je me trompais; et c'est son épouvante même Qui me plonge aujourd'hui dans un péril extrême. Mais n'importe, Hiéron Rome a beau menacer, A rompre mes serments rien ne doit me forcer; Et du moins essayons ce qu'en cette occurrence Peut produire pour moi la ferme résistance. La menace n'est rien, ce n'est pas ce qui nuit; Mais pour prendre un parti, voyons ce qui la suit. Acte III Scène première aodice, Egine Laodice Oui, ce Flaminius dont je crus être aimée, Et dont je me repens d'avoir été charmée, Egine, il doit me voir pour me faire accepter Je ne sais quel époux qu'il vient me présenter. L'ingrat! je le craignais; à présent, quand j'y pense, Je ne sais point encor si c'est indifférence; Mais enfin, le penchant qui me surprit pour lui Me semble, grâce au ciel, expirer aujourd'hui. Egine Quand il vous aimerait, eh! quel espoir, Madame, Oserait en ce jour se permettre votre âme? Il faudrait l'oublier. Laodice Hélas! depuis le jour Que pour Flaminius je sentis de l'amour, Mon coeur tâcha du moins de se rendre le maÃtre De cet amour qu'il plut au sort d'y faire naÃtre. Mais d'un tel ennemi penses-tu que le coeur Puisse avec fermeté vouloir être vainqueur? Il croit qu'autant qu'il peut il combat, il s'efforce Mais il a peur de vaincre, et veut manquer de force; Et souvent sa défaite a pour lui tant d'appas, Que, pour aimer sans trouble, il feint de n'aimer pas. Ce coeur, à la faveur de sa propre imposture, Se délivre du soin de guérir sa blessure. C'est ainsi que le mien nourrissait un amour Qui s'accrut sur la foi d'un apparent retour. Oh! d'un retour trompeur apparence flatteuse! Ce fut toi qui nourris une flamme honteuse. Mais que dis-je? ah! plutôt ne la rappelons plus Sans crainte et sans espoir voyons Flaminius. Egine Contraignez-vous il vient. Scène II Laodice, Flaminius, Egine Flaminius, à part. Quelle grâce nouvelle A mes regards surpris la rend encor plus belle! Madame, le Sénat, en m'envoyant au roi, N'a point à lui parler limité mon emploi. Rome, à qui la vertu fut toujours respectable, Envers vous aujourd'hui croit la sienne comptable D'un témoignage ardent dont l'éclat mette au jour Ce qu'elle a pour la vôtre et d'estime et d'amour. Je n'ose ici mêler mes respects ni mon zèle Avec les sentiments que j'explique pour elle. Non, c'est Rome qui parle, et malgré la grandeur Que me prête le nom de son ambassadeur, Quoique enfin le Sénat n'ait consacré ce titre Qu'à s'annoncer des rois et le juge et l'arbitre, Il a cru que le soin d'honorer la vertu Ornait la dignité dont il m'a revêtu. Madame, en sa faveur, que votre âme indulgente Fasse grâce à l'époux que sa main vous présente. Celui qu'il a choisi... Laodice Non, n'allez pas plus loin; Ne dites pas son nom il n'en est pas besoin. Je dois beaucoup aux soins où le Sénat s'engage; Mais je n'ai pas, Seigneur, dessein d'en faire usage. Cependant vous dirai-je ici mon sentiment Sur l'estime de Rome et son empressement? Par où, s'il ne s'y mêle un peu de politique, Ai-je l'honneur de plaire à votre république? Mes paisibles vertus ne valent pas, Seigneur, Que le Sénat s'emporte à cet excès d'honneur. Je n'aurais jamais cru qu'il vÃt comme un prodige Des vertus où mon rang, où mon sexe m'oblige. Quoi! le ciel, de ses dons prodigue aux seuls Romains, En prive-t-il le coeur du reste des humains? Et nous a-t-il fait naÃtre avec tant d'infortune, Qu'il faille nous louer d'une vertu commune? Si tel est notre sort, du moins épargnez-nous L'honneur humiliant d'être admirés de vous. Quoi qu'il en soit enfin, dans la peur d'être ingrate, Je rends grâce au Sénat, et son zèle me flatte! Bien plus, Seigneur, je vois d'un oeil reconnaissant Le choix de cet époux dont il me fait présent. C'est en dire beaucoup une telle entreprise De trop de liberté pourrait être reprise; Mais je me rends justice, et ne puis soupçonner Qu'il ait de mon destin cru pouvoir ordonner. Non, son zèle a tout fait, et ce zèle l'excuse; Mais, Seigneur, il en prend un espoir qui l'abuse; Et c'est trop, entre nous, présumer des effets Que produiront sur moi ses soins et ses bienfaits, S'il pense que mon coeur, par un excès de joie, Va se sacrifier aux honneurs qu'il m'envoie. Non, aux droits de mon rang ce coeur accoutumé Est trop fait aux honneurs pour en être charmé. D'ailleurs, je deviendrais le partage d'un homme Qui va, pour m'obtenir, me demander à Rome; Ou qui, choisi par elle, a le coeur assez bas Pour n'oser déclarer qu'il ne me choisit pas; Qui n'a ni mon aveu ni celui de mon père! Non il est, quel qu'il soit, indigne de me plaire. Flaminius Qui n'a point votre aveu, Madame! Ah! cet époux Vous aime, et ne veut être agréé que de vous. Quand les dieux, le Sénat, et le roi votre père, Hâteraient en ce jour une union si chère, Si vous ne confirmiez leurs favorables voeux, Il vous aimerait trop pour vouloir être heureux. Un feu moins généreux serait-il votre ouvrage? Pensez-vous qu'un amant que Laodice engage Pût à tant de révolte encourager son coeur, Qu'il voulût malgré vous usurper son bonheur? Ah! dans celui que Rome aujourd'hui vous présente, Ne voyez qu'une ardeur timide, obéissante, Fidèle, et qui, bravant l'injure des refus, Durera, mais, s'il faut, ne se produira plus. Perdez donc les soupçons qui vous avaient aigrie. Arbitre de l'amant dont vous êtes chérie, Que le courroux du moins n'ait, dans ce même instant, Nulle part dangereuse à l'arrêt qu'il attend. Je vous ai tu son nom; mais mon récit peut-être, Et le vif intérêt que j'ai laissé paraÃtre, Sans en expliquer plus, vous instruisent assez. Laodice Quoi! Seigneur, vous seriez... Mais que dis-je? cessez, Et n'éclaircissez point ce que j'ignore encore. J'entends qu'on me recherche, et que Rome m'honore. Le reste est un secret où je ne dois rien voir. Flaminius Vous m'entendez assez pour m'ôter tout espoir; Il faut vous l'avouer je vous ai trop aimée, Et pour dire encore plus, toujours trop estimée, Pour me laisser surprendre à la crédule erreur De supposer quelqu'un digne de votre coeur. Il est vrai qu'à nos voeux le ciel souvent propice Pouvait en ma faveur disposer Laodice Mais après vos refus, qui ne m'ont point surpris, Je ne m'attendais pas encor à des mépris, Ni que vous feignissiez de ne point reconnaÃtre L'infortuné penchant que vous avez vu naÃtre. Laodice Un pareil entretien a duré trop longtemps, Seigneur; je plains des feux si tendres, si constants; Je voudrais que pour eux le sort plus favorable Eût destiné mon coeur à leur être équitable. Mais je ne puis, Seigneur; et des liens si doux, Quand je les aimerais, ne sont point faits pour nous. Oubliez-vous quel rang nous tenons l'un et l'autre? Vous rougiriez du mien, je rougirais du vôtre. Flaminius Qu'entends-je! moi, Madame, oser m'estimer plus! N'êtes-vous pas Romaine avec tant de vertus? Ah! pourvu que ce coeur partageât ma tendresse... Laodice Non, Seigneur; c'est en vain que le vôtre m'en presse; Et quand même l'amour nous unirait tous deux... Flaminius Achevez; qui pourrait m'empêcher d'être heureux? Vous aurait-on promise? et le roi votre père Aurait-il?... Laodice N'accusez nulle cause étrangère. Je ne puis vous aimer, Seigneur, et vos soupçons Ne doivent point ailleurs en chercher des raisons. Scène III Flaminius, seul. Enfin, elle me fuit, et Rome méprisée A permettre mes feux s'est en vain abaissée. Et moi, je l'aime encore, après tant de refus, Ou plutôt je sens bien que je l'aime encor plus. Mais cependant, pourquoi s'est-elle interrompue? Quel secret allait-elle exposer à ma vue? Et quand un même amour nous unirait tous deux... Où tendait ce discours qu'elle a laissé douteux? Aurait-on fait à Rome un rapport trop fidèle? Serait-ce qu'Annibal est destiné pour elle, Et que, sans cet hymen, je pourrais espérer...? Mais à quel piège ici vais-je encor me livrer? N'importe, instruisons-nous; le coeur plein de tendresse, M'appartient-il d'oser combattre une faiblesse? Le roi vient; et je vois Annibal avec lui. Sachons ce que je puis en attendre aujourd'hui. Scène IV Prusias, Annibal, Flaminius Prusias J'ignorais qu'en ces lieux... Flaminius Non avant que j'écoute, Répondez-moi, de grâce, et tirez-moi d'un doute. L'hymen de votre fille est aujourd'hui certain. A quel heureux époux destinez-vous sa main? Prusias Que dites-vous, Seigneur? Flaminius Est-ce donc un mystère? Prusias Ce que vous exigez ne regarde qu'un père. Flaminius Rome y prend intérêt, je vous l'ai déjà dit; Et je crois qu'avec vous cet intérêt suffit. Prusias Quelque intérêt, Seigneur, que votre Rome y prenne, Est-il juste, après tout, que sa bonté me gêne? Flaminius Abrégeons ces discours. Répondez, Prusias Quel est donc cet époux que vous ne nommez pas? Prusias Plus d'un prince, Seigneur, demande Laodice; Mais qu'importe au Sénat que je l'en avertisse, Puisque avec aucun d'eux je ne suis engagé? Annibal De qui dépendez-vous, pour être interrogé? Flaminius Et vous qui répondez, instruisez-moi, de grâce Est-ce à vous qu'on m'envoie? Est-ce ici votre place? Qu'y faites-vous enfin? Annibal J'y viens défendre un roi Dont le coeur généreux s'est signalé pour moi; D'un roi dont Annibal embrasse la fortune, Et qu'avec trop d'excès votre orgueil importune. Je blesse ici vos yeux, dites-vous je le croi; Mais j'y suis à bon titre, et comme ami du roi. Si ce n'est pas assez pour y pouvoir paraÃtre, Je suis donc son ministre, et je le fais mon maÃtre. Flaminius Dût-il de votre fille être bientôt l'époux, Pourrait-il de son sort se montrer plus jaloux? Qu'en dites-vous, Seigneur? Prusias Il me marque son zèle, Et vous dit ce qu'inspire une amitié fidèle. Annibal Instruisez le Sénat, rendez-lui la frayeur Que son agent voudrait jeter dans votre coeur Déclarez avec qui votre foi vous engage J'en réponds, cet aveu vaudra bien un outrage. Flaminius Qui doit donc épouser Laodice? Annibal C'est moi. Flaminius Annibal? Annibal Oui, c'est lui qui défendra le roi; Et puisque sa bonté m'accorde Laodice, Puisque de sa révolte Annibal est complice, Le parti le meilleur pour Rome est désormais De laisser ce rebelle et son complice en paix. A Prusias. Seigneur, vous avez vu qu'il était nécessaire De finir par l'aveu que je viens de lui faire, Et vous devez juger, par son empressement, Que Rome a des soupçons de notre engagement. J'ose dire encor plus l'intérêt d'Artamène Ne sert que de prétexte au motif qui l'amène; Et sans m'estimer trop, j'assurerai, Seigneur, Que vous n'eussiez point vu sans moi d'ambassadeur; Que Rome craint de voir conclure un hyménée Qui m'attache à jamais à votre destinée, Qui me remet encor les armes à la main, Qui de Rome peut-être expose le destin, Qui contre elle du moins fait revivre un courage Dont jamais son orgueil n'oubliera le ravage. Cette Rome, il est vrai, ne parle point de moi; Mais ses précautions trahissent son effroi. Oui, les soins qu'elle prend du sort de Laodice D'un orgueil alarmé vous montrent l'artifice. Son Sénat en bienfaits serait moins libéral, S'il ne s'agissait pas d'écarter Annibal. En vous développant sa timide prudence, Ce n'est pas que, saisi de quelque défiance, Je veuille encourager votre honneur étonné A confirmer l'espoir que vous m'avez donné. Non, je mériterais une amitié parjure, Si j'osais un moment vous faire cette injure. Et que pourriez-vous craindre en gardant votre foi? Est-ce d'être vaincu, de cesser d'être roi? Si vous n'exercez pas les droits du rang suprême, Si vous portez des fers avec un diadème, Et si de vos enfants vous ne disposez pas, Vous ne pouvez rien perdre en perdant vos Etats. Mais vous les défendrez et j'ose encor vous dire Qu'un prince à qui le ciel a commis un empire, Pour qui cent mille bras peuvent se réunir, Doit braver les Romains, les vaincre et les punir. Flaminius Annibal est vaincu; je laisse à sa colère Le faible amusement d'une vaine chimère. Epuisez votre adresse à tromper Prusias; Pressez; Rome commande et ne dispute pas; Et ce n'est qu'en faisant éclater sa vengeance, Qu'il lui sied de donner des preuves de puissance. Le refus d'obéir à ses augustes lois N'intéresse point Rome, et n'est fatal qu'aux rois. C'est donc à Prusias à qui seul il importe De se rendre docile aux ordres que j'apporte. Poursuivez vos discours, je n'y répondrai rien; Mais laissez-nous après un moment d'entretien. Je vous cède l'honneur d'une vaine querelle, Et je dois de mon temps un compte plus fidèle. Annibal Oui, je vais m'éloigner mais prouvez-lui, Seigneur, Qu'il ne rend pas ici justice à votre coeur. Scène V Flaminius, Prusias Flaminius Gardez-vous d'écouter une audace frivole, Par qui son désespoir follement se console. Ne vous y trompez pas, Seigneur; Rome aujourd'hui Vous demande Annibal, sans en vouloir à lui. Elle avait défendu qu'on lui donnât retraite; Non qu'elle eût, comme il dit, une frayeur secrète Mais il ne convient pas qu'aucun roi parmi vous Fasse grâce aux vaincus que proscrit son courroux. Apaisez-la, Seigneur une nombreuse armée Pour venir vous surprendre a dû s'être formée; Elle attend vos refus pour fondre en vos Etats; L'orgueilleux Annibal ne les sauvera pas. Vous, de son désespoir instrument et ministre, Qui n'en pénétrez pas le mystère sinistre, Vous, qu'il abuse enfin, vous par qui son orgueil Se cherche, en vous perdant, un éclatant écueil, Vous périrez, Seigneur; et bientôt Artamène, Aidé de son côté des troupes qu'on lui mène, Dépouillera ce front de ce bandeau royal, Confié sans prudence aux fureurs d'Annibal. Annonçant du Sénat la volonté suprême, J'ai parlé jusqu'ici comme il parle lui-même; J'ai dû de son langage observer la rigueur Je l'ai fait; mais jugez s'il en coûte à mon coeur. Connaissez-le, Seigneur Laodice m'est chère; Il doit m'être bien dur de menacer son père. Oui, vous voyez l'époux proposé dans ce jour, Et dont Rome n'a pas désapprouvé l'amour. Je ne vous dirai point ce que pourrait attendre Un roi qui choisirait Flaminius pour gendre. Pensez-y, mon amour ne vous fait point de loi, Et vous ne risquez rien ne refusant que moi. Mon âme à vous servir n'en sera pas moins prête; Mais, par reconnaissance, épargnez votre tête. Oui, malgré vos refus et malgré ma douleur, Je vous promets des soins d'une éternelle ardeur. A présent trop frappé des malheurs que j'annonce, Peut-être auriez-vous peine à me faire réponse; Songez-y; mais sachez qu'après cet entretien, Je pars, si dans ce jour vous ne résolvez rien. Scène VI Prusias, seul. Il aime Laodice! Imprudente promesse, Ah! sans toi, quel appui m'assurait sa tendresse! Dois-je vous immoler le sang de mes sujets, Serments qui l'exposez, et que l'orgueil a faits? Toi, dont j'admirai trop la fortune passée, Sauras-tu vaincre mieux ceux qui l'ont renversée? Abattu sous le faix de l'âge et du malheur, Quel fruit espères-tu d'une infirme valeur? Tristes réflexions, qu'il n'est plus temps de faire! Quand je me suis perdu, la sagesse m'éclaire Sa lumière importune, en ce fatal moment, N'est plus une ressource, et n'est qu'un châtiment. En vain s'ouvre à mes yeux un affreux précipice; Si je ne suis un traÃtre, il faut que j'y périsse. Oui, deux partis encore à mon choix sont offerts Je puis vivre en infâme, ou mourir dans les fers. Choisis, mon coeur. Mais quoi! tu crains la servitude? Tu n'es déjà qu'un lâche à ton incertitude! Mais ne puis-je, après tout, balancer sur le choix? Impitoyable honneur, examinons tes droits. Annibal a ma foi; faut-il que je la tienne, Assuré de ma perte, et certain de la sienne? Quel projet insensé! La raison et les dieux Me font-ils un devoir d'un transport furieux? O ciel! j'aurais peut-être, au gré d'une chimère Sacrifié mon peuple et conclu sa misère. Non, ridicule honneur, tu m'as en vain pressé Non, ce peuple t'échappe, et ton charme a cessé. Le parti que je prends, dût-il même être infâme, Sujets, pour vous sauver j'en accepte le blâme. Il faudra donc, grands dieux! que mes serments soient vains, Et je vais donc livrer Annibal aux Romains, L'exposer aux affronts que Rome lui destine! Ah! ne vaut-il pas mieux résoudre ma ruine? Que dis-je? mon malheur est-il donc sans retour? Non, de Flaminius sollicitons l'amour. Mais Annibal revient, et son âme inquiète Peut-être a pressenti ce que Rome projette. Scène VII Prusias, Annibal Annibal J'ai vu sortir l'ambassadeur. De quels ordres encor s'agissait-il, Seigneur? Sans doute il aura fait des menaces nouvelles? Son Sénat... Prusias Il voulait terminer vos querelles Mais il ne m'a tenu que les mêmes discours, Dont vos longs différends interrompaient le cours. Il demande la paix, et m'a parlé sans cesse De l'intérêt que Rome a pris à la princesse. Il la verra peut-être, et je vais, de ce pas, D'un pareil entretien prévenir l'embarras. Scène VIII Annibal, seul. Il fuit; je l'ai surpris dans une inquiétude Dont il ne me dit rien, qu'il cache avec étude. Observons tout la mort n'est pas ce que je crains; Mais j'avais espéré de punir les Romains. Le succès était sûr, si ce prince timide Prend mon expérience ou ma haine pour guide. Rome, quoi qu'il en soit, j'attendrai que les dieux Sur ton sort et le mien s'expliquent encor mieux. Acte IV Scène première aodice, seule. Quel agréable espoir vient me luire en ce jour! Le roi de mon amant approuve donc l'amour! Auteur de mes serments, il les romprait lui-même, Et je pourrais sans crime épouser ce que j'aime. Sans crime! Ah! c'en est un, que d'avoir souhaité Que mon père m'ordonne une infidélité. Abjure tes souhaits, mon coeur; qu'il te souvienne Que c'est faire des voeux pour sa honte et la mienne. Mais que vois-je? Annibal! Scène II Laodice, Annibal Annibal Enfin voici l'instant Où tout semble annoncer qu'un outrage m'attend. Un outrage, grands dieux! A ce seul mot, Madame, Souffrez qu'un juste orgueil s'empare de mon âme. Dans un pareil danger, il doit m'être permis, Sans craindre d'être vain, d'exposer qui je suis. J'ai besoin, en un mot, qu'ici votre mémoire D'un malheureux guerrier se rappelle la gloire; Et qu'à ce souvenir votre coeur excité, Redouble encor pour moi sa générosité. Je ne vous dirai plus de presser votre père De tenir les serments qu'il a voulu me faire. Ces serments me flattaient du bonheur d'être à vous; Voilà ce que mon coeur y trouvait de plus doux. Je vois que c'en est fait, et que Rome l'emporte; Mais j'ignore où s'étend le coup qu'elle me porte. Instruisez Annibal; il n'a que vous ici. Par qui de ses projets il puisse être éclairci. Des devoirs où pour moi votre foi vous oblige, Un aveu qui me sauve est tout ce que j'exige. Songez que votre coeur est pour moi dans ces lieux L'incorruptible ami que me laissent les dieux. On vous offre un époux, sans doute; mais j'ignore Tout ce qu'à Prusias Rome demande encore. Il craint de me parler, et je vois aujourd'hui Que la foi qui le lie est un fa Publié le 25/04/2008 à 1211 Chaque année c'est le même scenario. La troupe castraise des Compagnons du théâtre fait passer des auditions à des artistes plus ou moins confirmés pour intégrer leur spectacle annuel. Cette année, c'est l'Auberge du cheval blanc que revisite la compagnie de Marie-José Amalvy. Et après des mois de répétitions, les 15 enfants issus de la chorale de Christine Caner, les 12 solistes, les 10 danseurs et 30 musiciens sont fin prêt pour le grand rendez-vous. Leur nouvelle création, la célèbre opérette de Ralph Benatzky, sera présentée au public samedi, à 21 heures, dimanche, à 15 h 30, et mardi prochain, à 21 heures séance scolaire à 14 heures. Trois représentations qui vous entraîneront dans un univers bucolique aux accents tyroliens où les décors et les costumes auront la part belle. Qui pourrait résister au charme fou de la belle Josépha, l'aubergiste, à celui du non moins séduisant Léopold, son maître d'hôtel dans les couplets Ah, mesdames et messieurs… », Pour être un jour aimé de toi, je donnerais ma vie…», Adieu, adieu, je pars sans détourner les yeux… », au sortilège et à la grâce du jeu de l'amour de Maître Florès et Sylvabelle, Je vous amènerai sur mon joli bateau… », Pour moi le ciel est toujours bleu… ». Quant à ce cher Célestin, il revendiquera sa plastique auprès de Clara, On a l'béguin pour ma silhouette…»? Tarif normal, 28 €; tarif réduit adhérents, troisième âge, groupes CE, 25 €; abonné, 24 €; demandeurs d'emploi et étudiants, 15 € ; moins de 12 ans, 12,50 €; scolaires, 3 € places numérotées. Pour tous renseignements et réservations, s'adresser au théâtre, tél. 05 63 71 56 58. Alibert-Adieu… adieu! 1 Elle me chasse... qu'ai-je entendu ? Elle ne manque pas d'audace Je suis balancé tout comme un malotru Et je perds mon amour et ma place ! Elle est cruelle mais son dédain La suite des paroles ci-dessous Me donne une ardeur nouvelle Oui, tu verras, et dès demain, Ce que peut faire un larbin Adieu... adieu ! Je pars sans détourner les yeux Mais avant trois mois Vous entendrez parler d' moi Adieu... adieu ! Je prouverai sous d'autres cieux En Chine, au Texas, Que j'ai tout pour être un as Je n' sais pas très bien encore Si je deviendrai chercheur d'or Ou chasseur de phoques au pôle Nord Chef de bande chez les gangsters Ou pédicure chez Rockefeller La suite des paroles ci-dessous Mais je s'rai bientôt millionnaire Adieu... adieu ! Ne vous en faites pas pour moi Messieurs, le petit Léopold Nagera bientôt dans le Pactole 2 De par le monde, dans tous les coins Il est des brunes et des blondes Qui seront très fières de m'avoir pour conjoint Je ne m'en fais pas une seconde Comme en Turquie font les Pachas Quand ils ont des insomnies Je n'aurai qu'à choisir dans le tas Et j'oublierai Joséfa final Si vous voulez Des nouvelles de mon moral Vous en trouverez En première page dans votre journal Pathé x 91038 Les internautes qui ont aimé "Adieu... Adieu" aiment aussi

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